Lord Freud © Peter MacDiarmid / Getty Images.
De ce côté-ci de la Manche, Lord Freud est inconnu, son patronyme ne l’est pas puisqu’il est l’arrière-petit-fils de Sigmund Freud. Mais le moins que l’on puisse dire est que, si les travaux de recherche en psychanalyse de son arrière-grand-père sont connus et reconnus, bien que contestés désormais, la carrière, les agissements et les déclarations souvent fracassantes, désinvoltes et provocatrices de David Anthony Freud ne vont pas engendrer la même aura.
La dernière incartade d’une longue liste remonte au congrès annuel du parti conservateur, qui s’est tenu à Birmingham du 28 septembre au 1er octobre. A cette occasion, lors d’un débat annexe à l’assemblée plénière des Tories il a déclaré sans vergogne : some disabled are not worth the minimum wage and could be paid as low as 2£ an hour, ce qui signifie, cela ne vaut pas la peine de donner le salaire minimum (6.50 £ de l’heure, soit 8,20 €) à certains handicapés et on pourrait les payer en descendant jusqu’à 2 £ de l’heure (soit 2,60 €).
Inutile de dire que ces propos scandaleux, qui relèvent de l’eugénisme, ont déclenché une série de réactions virulentes et une empoignade musclée à la chambre des communes entre Ed Miliband, le chef de file des travaillistes, et David Cameron, le premier ministre de la coalition Tories/LibDems, que l’on peut voir ici sur cette vidéo d’ITN, relayée par le Guardian. L’intéressé a dû se fendre d’une excuse publique sur l’ordre du premier ministre, qui, lui-même, a déclaré au parlement, comme on peut le voir sur cette vidéo, que ces propos n’engageaient que leur auteur et non pas le gouvernement.
Néanmoins, si on peut prendre acte de ces excuses, il n’est pas interdit de demeurer très sceptique et de se demander si cette sortie n’est pas une sorte de ballon d’essai. En effet, de ce côté-là de la Manche, Lord Freud est très loin d’être un inconnu. Il siège à la chambre des Lords et fait partie du gouvernement, avec le titre de secrétaire d’état à la santé et à l’assistance sociale, domaine qui inclut, bien évidemment, les handicapés. De plus, Lord Freud n’est pas vraiment un débutant en matière de provocation et d’irrespect.
David Anthony Freud a commencé sa carrière comme journaliste au Financial Times et s’est très rapidement attiré l’inimitié de bon nombre de ses collègues, car sa conception de l’éthique était relativement souple et très personnelle. En même temps que Freud enquêtait sur certaines entreprises britanniques ou internationales, il travaillait pour ces mêmes entreprises comme consultant. Même le quotidien conservateur The Telegraph a jugé ses méthodes morally ambiguous, moralement ambigües, et se préconisations en affaires goofy, entendez « maboul ». Toutes ces réserves publiquement exprimées n’ont pas empêché, en 2006, le premier ministre de l’époque, un certain Tony Blair, de lui confier un rapport sur le système de santé et d’assistance sociale du Royaume-Uni, ce qui confirme que la pompeuse étiquette de New Labour n’a pas fait de Blair un travailliste crédible.
Freud a rendu son rapport trois semaines plus tard, sans avoir rencontré les principaux acteurs du Welfare, rapport dans lequel il suggérait l’implication du secteur privé dans ce domaine public, préconisation que le successeur de Blair, Gordon Brown, lui aussi présumé travailliste, mit en application dès juin 2007. En 2009 Anthony David Freud rejoignit le parti conservateur, puis fut anobli, sur proposition du gouvernement travailliste, avec le titre de baron d’Eastry, dans le Kent, et devint membre du gouvernement fantôme d’opposition des Tories, avec le titre, déjà !, de ministre chargé de la santé et de l’assistance sociale. En 2012, il est devenu secrétaire d’état chargé de la santé et de l’assistance sociale.
Avec le parcours de Lord Freud, ses honteuses déclarations de la fin du mois d’octobre ressemblent à tout sauf à une bévue.