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Billet de blog 19 février 2016

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Bataclan, une réplique inattendue et douloureuse

Trois mois après l’horrible massacre du Bataclan, les survivants et les familles des victimes ont dû avoir une très étrange impression en écoutant Jesse Hughes, le chanteur et guitariste du groupe Eagles of Death Metal, qui se produisait le 13 novembre 2015 dans la salle de spectacle, donner un entretien à une chaîne de télévision en continu cette semaine.

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Trois mois après l’horrible massacre du Bataclan, les survivants et les familles des victimes ont dû avoir une très étrange impression en écoutant Jesse Hughes, le chanteur et guitariste du groupe Eagles of Death Metal, qui se produisait le 13 novembre 2015 dans la salle de spectacle, donner un entretien à une chaîne de télévision en continu cette semaine. Il avait, dit-il, le devoir de terminer ce spectacle, ce qui a été fait à l’Olympia. Que Hughes soit traumatisé est plus que parfaitement compréhensible, on le serait à moins, car ce qu’il a vu et entendu ce soir-là suffit à laisser dans toute mémoire normalement constituée une trace profonde et indélébile. Les propos de Hughes étaient parfois difficiles à comprendre et même à déchiffrer tant les interruptions dues aux sanglots et hoquets étaient nombreuses et fréquentes. L’écouter et le regarder devenait pénible car on imaginait son traumatisme, derrière des propos que l’on devine sincères. Puis, alors que l’entretien touchait à sa fin, la journaliste eut l’idée, que, de prime abord, on aurait pu considérer incongrue après une telle tragédie, de lui demander si ces évènements avaient changé son opinion sur les armes à feu. Ce qui engendra légitimement une interrogation dans l’esprit du téléspectateur moyen, qui ne connaissait pas nécessairement ce groupe avant le 13 novembre et qui eut brusquement la sensation que la dite journaliste en savait davantage que monsieur-tout-le-monde sur l’individu en question. Et là patatras ! Coup de massue violent sur la tête de celles et ceux qui s’étaient aventurés à regarder : It doesn’t have anything to do with it. Everybody has to have guns, entendez : ça n’a rien à voir avec cela. Tout le monde doit avoir des armes !

Passé le moment d’incompréhension et de stupeur, ce fut pour entendre que « c’est la restriction sur les armes à feu en vigueur en France qui a permis aux terroristes de faire ce qu’ils ont fait » ! Puis une question posée agressivement à la journaliste : Did your French gun control stop a single fucking person from dying at the Bataclan? Est-ce que votre système français d’interdire les armes à feu a empêché une seule foutue personne de mourir au Bataclan ? On eût même l’impression que la rage portée sur l’adjectif fucking faisait l’objet d’une certaine auto-censure et qu’il fallait entendre fucking French gun control stop. On se perdait alors en conjectures en se demandant si certaines larmes préalables étaient dues à la compassion pour les 90 victimes ou aux regrets de n’avoir pu répondre aux agresseurs avec une arme. Dieu fut ensuite appelé à la rescousse, comme il se doit pour tout citoyen américain, pour lâcher un flot de paroles proches du galimatias idéologique. Quel incroyable malaise et quelle sensation bizarre que d’entendre un plaidoyer aussi confus et revanchard ! Il était grand temps, alors, d’aller se mettre au niveau des connaissances préalables de la journaliste et de savoir qui se cache derrière ce Jesse Hughes et ses lunettes aux verres orange. Le résultat n’est pas exaltant.

Jesse Hughes est membre de la NRA, National Rifle Association, il veut Donald Trump comme prochain président, il semble avoir un rang important dans une obscure église américaine plus proche d’une secte que d’une obédience reconnue, et c’est en ces termes qu’il parle du droit à l’avortement et du droit des femmes à disposer de leur corps : it’s sexist to me to talk women into killing their babies, pour moi c’est du sexisme de convaincre les femmes de tuer leurs bébés. Les réactions sur les réseaux sociaux ont été éloquentes : such a pity! (quel dommage!), what a shame! (quelle honte!). On ne peut qu’être abasourdi et, tout en pensant aux meurtrissures des familles que l’on ne peut laisser en pâture à ce partisan irraisonné de la loi du talion, on laissera le dernier mot à l’excellente éditorialiste du quotidien britannique The Guardian, Marina Hyde : wrong place, wrong man, wrong opinions…

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