L’ex-premier ministre travailliste Tony Blair serait décidément bien inspiré de se taire et de disparaître du devant de la scène médiatique qu’il affectionne tout particulièrement. En effet, il a cru bon d’intervenir dans le débat sur l’avenir du parti travailliste contre Jeremy Corbyn, alors que personne ne lui demandait rien, d’autant qu’il demeure la personnalité politique la plus détestée du Royaume Uni. Jeremy Corbyn avait pris position contre l’invasion de l’Irak et avait promis, s’il était élu, de présenter ses excuses au peuple irakien. Tony Blair, encore lui, a osé renouveler un mensonge qui date de 2002 à cette occasion — ce qui confirme que son surnom est approprié, Bliar, amalgame entre liar, menteur, et Blair — en affirmant que pendant l’année qui a précédé l’invasion de l’Irak, il a tout fait pour privilégier une solution diplomatique. Or, dans son édition du 18 octobre, le journal britannique The Mail on Sunday, prolongement dominical du Daily Mail, a publié un document qui contredit les vantardises mensongères de Blair et confirme que le 28 mars 2002, soit un an avant l’invasion de l’Irak, ce dernier était bien déjà le poodle (caniche) de George Bush, comme l’avait suggéré l’hebdomadaire satirique Private Eye.
Il s’agit d’un memo envoyé par Colin Powell, secrétaire d’état à la défense, à George Bush, président des Etats-Unis le 28 mars 2002. Ce memo a été découvert de façon étonnante et tout à fait par hasard dans les documents détenus sur l’ordinateur personnel d’Hillary Clinton que la justice américaine a demandés à la candidate démocrate dans le cadre de la controverse sur les courriels de la même Hillary lorsqu’elle était secrétaire d’état aux affaires étrangères d’Obama. Le contenu de ce mémo , dont on peut prendre connaissance ci-dessous, est particulièrement édifiant.
Le premier paragraphe n’est pas d’un grand intérêt, puisqu’il indique que Blair attend avec impatience de rencontrer le couple Bush dans leur ranch de Crawford au Texas. Si le deuxième et le troisième paragraphes ne manquent pas de sel, puisque Powell confirme que Blair est complètement aligné sur la politique étrangère des Etats-Unis, c’est la première phrase du quatrième paragraphe du memo de Powell qui fait l’effet d’une véritable bombe : On Iraq, Blair will be with us should military operations be necessary, ce qui signifie : En ce qui concerne l’Irak, Blair sera avec nous si des opérations militaires étaient nécessaires. En d’autres termes, un an avant le mensonge éhonté des armes de destruction massive et avant l’invasion de l’Irak, Blair avait déjà décidé de s’aligner sur le choix de Bush, sans en avoir discuté avec les membres de son gouvernement et sans en avoir référé à sa majorité et à l’ensemble des députés, dans le cadre d’un débat à la chambre des communes. La presse britannique a réagi, à cette divulgation, rapidement et massivement de manière identique, qu’il s’agisse du Guardian, du Times, du Telegraph ou de l’Independent, pour dénoncer l’attitude de Blair.
Le Guardian est allé plus loin en demandant que ces allégations soient portées à la connaissance de la commission Chilcot. La dite commission, du nom de son président Sir John Chilcot, haut fonctionnaire et diplomate de carrière, a été créée en 2009 par Gordon Brown pour enquêter sur le rôle du Royaume Uni dans la guerre en Irak. Bien que Brown ait toujours rêvé de liquider politiquement son prédécesseur, il lui était impossible d’utiliser cette commission comme instrument de sa vengeance, puisqu’il était membre du gouvernement Blair à l’époque. Donc la Chilcot Inquiry a toujours eu les apparences d’une commission au sens où l’entendait Clémenceau, c’est-à-dire destinée à enterrer un problème. Il y a peu de chances que l’ex-premier ministre travailliste soit inquiété ou convoqué au vu de la composition de la commission. Outre Sir John Chilcot, il y a un historien militaire qui était favorable à l’intervention en Irak, Sir Lawrence Freedman, un ex-ambassadeur en Russie, Sir Roderick Lyne, la baronne Prashar, membre du Joint Committee on Human Rights, et un autre historien favorable à l’invasion, mais disparu en février 2015, Sir Martin Gilbert. Il ne faut pas compter non plus sur le zèle de David Cameron pour demander à la Chilcot Inquiry d’auditionner Blair. Reste la pression médiatique qui demeure forte et source d’espoir pour la liberté citoyenne.