S'il est une expression qui symbolise bien l'idée d'indépendance de la presse en général et qui illustre parfaitement l'état d'esprit de la rédaction de Mediapart, pour la plus grande satisfaction des abonnés, c'est bien celle de watchdog. Cette collocation fait référence à l'attitude de vigilance permanente et de recherche des faits réels. Elle s'inscrit dans une échelle de valeurs où la vérité est l'affaire de tous, et ne saurait être l'apanage d'un groupe, d'une faction, ou, pire encore, d'un seul homme, comme le montre la lugubre pantalonnade des états généraux de la presse organisés par l'Elysée.
Jusqu'au début des années 1980, cette composition par juxtaposition était uniquement synonyme, dans la langue anglaise, d'une autre, guard-dog, et demeurait confinée dans une acception domestique, c'est-à-dire, descriptive de la mission confiée à un chien, à savoir de surveiller une maison, un domaine, d'aboyer et, au besoin, de mordre l'intrus. Puis lorsque la nouvelle figure de proue du parti conservateur britannique, Margaret Thatcher, s'installa au 10 Downing Street, en 1979, on se souvient que ce fut essentiellement pour démanteler et brader l'industrie britannique, puis pour mettre à mal les acquis sociaux et les libertés syndicales.
A partir de cette période, watchdog a pris un sens social et politique assez spécifique. On pourrait même ajouter spécieux. En effet, pour lancer et justifier les privatisations d'entreprises publiques, les conservateurs britanniques, sous l'impulsion très démagogique de la première d'entre eux, créèrent plusieurs organismes, dont le but était à la fois de vérifier que les entreprise publiques ne donnaient plus satisfaction, puis que les entreprises nouvellement privatisées donnaient satisfaction aux consommateurs, ou plutôt aux usagers. Il y eut, ainsi, successivement OFFER, the Office of Electricity Regulation, OFGAS, the Office of Gas Supply, OFTEL, the Office Telecommunications et OFWAT, the Office of Water Services.
Bien sûr, la dame de fer joua sur du velours, en caressant, dans le sens du poil, l'électeur moyen qui se focalisa sur les petits désagréments du service public, en oubliant que c'était un des facteurs d'équilibre de l'égalité dans la société britannique, puisque les privatisations ne profitent jamais aux plus démunis. Les watchdogs ne se sont pas retournés contre leur maîtresse et ne sont pas revenus mordre immédiatement ses mollets. Et les électeurs ont attendu le 1er mai 1997 pour signifier son congé à l'amie de Pinochet. Curieusement, aucun organisme ne fut jamais créé pour surveiller la privatisation des chemins de fer britanniques, le plus retentissant fiasco thatchérien, dont l'excellent Ken Loach a dressé un portrait sans concession dans son film The Navigators.
Depuis cette époque, le terme de watchdog a voyagé et s'est débarrassé de son étiquette thatchérienne pour mieux coller à la réalité de la défense du consommateur et du citoyen. Il y a désormais un nouveau vocable, lancé par The Observer dans le cadre de la contestation de l'invasion de l'Irak, il s'agit de whistleblower, littéralement celui ou celle qui siffle, référence faite à un arbitre ou un policier. L'équivalent sémantique évoquerait plutôt, en français, quiconque tire le signal d'alarme. C'est moins connoté, mais beaucoup plus long. Watchdog a encore de beaux jours devant lui.