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Billet de blog 21 mars 2011

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Sarkozy atteint du syndrome des Falklands

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Il est permis de s’interroger désormais, et c’est ce que le Guardian a fait dans sa une du 21 mars 2011, sur les raisons profondes qui ont poussé l’actuel président de la République à vouloir obstinément convaincre le Royaume-Uni, les Etats-Unis et, surtout, le conseil de sécurité de l’ONU d’envoyer des avions bombarder celui-là même qu’il recevait naguère à Paris, avec tous les honneurs dus d’ordinaire à un chef d’état démocratiquement élu, dans une république respectable et digne de ce nom. La rapidité avec laquelle il a d’abord pris BHL pour le ministre des affaires étrangères, au mépris non seulement d’Alain Juppé, mais aussi de la solidarité européenne minimale, puis la frénétique insistance sur une intervention qui redorerait un blason qui trempe dans la boue depuis plusieurs mois ne cessent de susciter des interrogations.

Le correspondant du Guardian à Paris,Jonathan Freedland, a pris le soin de commencer son article avec une infinie et courtoise prudence : It would surely be poor taste to accuse Nicolas Sarkozy of leading France into combat for purely selfish political reasons. Cette précaution oratoire initiale était-elle vraiment indispensable ? D’autant qu’on a quelque difficulté à comprendre pourquoi cette aide si nécessaire à présent pour le peuple lybien ne l’était pas il y a trois semaines. On peut aisément imaginer d’autres interprétations. Y aurait-il, par exemple, urgence, à se débarrasser d’un dictateur autrefois ami et à qui l’on devrait beaucoup au sens propre et au sens figuré ? Prudent initialement le Guardian lance une comparaison fort intéressante.

Some in the president’s inner circle … will be hoping Lybia can do for Sarkozy what the Falklands did for Margaret Thatcher - anoint a successful war leader deserving of re-election. Ce qui signifie donc : certains dans la garde rapprochée du président se prennent à espérer que la Lybie puisse faire pour Sarkozy ce que les Falklands ont fait pour Margaret Thatcher, sacrer un chef de guerre couronné de succès qui mérite la ré-élection. Ainsi donc, si dans le cercle restreint de l’actuel président, on se lance dans de tels calculs, comment imaginer que la paternité de tels desseins ne vienne pas du mentor lui-même ? Car l’exemple de la guerre des Malouines, the Falkland Islands, est désormais connu de tous.

Alors que le premier ministre conservateur britannique était au plus bas dans les sondages, après avoir tout bradé, l’industrie minière, la métallurgie, l’industrie automobile, les services publics, Margaret Thatcher trouva une idée inespérée et inattendue, en 1982, lorsque le dictateur argentin Videla, un des rares fascistes qui ne faisaient partie de ses amis, décida de s’approprier les îles Falklands, rebaptisées hispaniquement las Malvinas, afin de ressusciter l’esprit nationaliste de ceux qui avaient échappé aux persécutions. Le premier ministre britannique avait reçu l’appui inconditionnel d’un faiseur de rois international, Rupert Murdoch-Citizen Kane, tantôt l’ami de Thatcher, tantôt de Bush, tantôt de Blair.

Lesjournaux de l’empire Murdoch, le Sun,le News of the World et le Times, se lancèrent dans une frénétique bataille de communication,dont l’objet était clairement de redorer le blason de Margaret Thatcher. Lenationalisme délirant engendré par cette ridicule guerre du bout du mondemobilisa la nation par l’intermédiaire des media aux ordres des conservateurs.De ce côté-ci de la Manche, on eût même droit à de surréalistes cocoricos,simplement parce que HMS Sheffieldavait été touché par un exocet de fabrication française. Considérationtechnique indécente qui rappelait ce qu’Albert Camus dénonçait dans le journalCombat, le 8 août 1945 :

Le Monde est ce qu’il est, c’est-à-direpeu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concertque la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencherau sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d’une foulede commentaires enthousiastes, que n’importe quelle ville d’importance moyennepeut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon defootball. Des journaux américains, anglais et français se répandent endissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, lavocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et mêmele caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en unephrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degréde sauvagerie.

Pourprolonger la magnifique analyse d’Albert Camus, bombarder n’engendre que ladouleur, la barbarie, mais certainement pas la démocratie. Mais soyons en sûrs,d’ici 2012, le syndrome des Falklands sera mis en route et ses louanges serontchantés sur les ondes et les écrans aux ordres des l’actuel président qui serêve en roi du monde, mais qui donne invariablement à penser à la chanson deGeorges Brassens, le Roi.

Crédit photographique : Sypa press / Rex features.

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