Le langage quotidien prend parfois des aspects inattendus. Ils peuvent être déroutants et la fonction néologique étrangement attribuée à voilà a déjà été évoquée ici. En outre, l'usage qui est fait de l'adjectif improbable dans une sorte de volapük en plein essor pourrait aussi être commenté. Ils peuvent aussi s'appuyer, avec une telle vigueur, sur la concision et l'ellipse qu'ils engendrent bien souvent le doute le plus extrême. Ainsi, une formule semble farouchement accrochée aux habitudes des stations de radio et des chaînes de télévision, "les chevaux ont tous couru", pour introduire une activité, les résultats des courses hippiques, qui, d'ordinaire, semblent aussi passionnantes que l'évolution de la mode vestimentaire au Vatican.
Mais cette expression, à la fois abrupte et concise, dont on entend bien qu'elle tend à résumer l'état de fraîcheur des équidés, a quelque chose de mystérieux. Car, enfin, s'ils ont tous couru, d'une part ils sont entraînés dans ce but, d'autre part ils n'ont pas le choix, donc ils n'ont fait que leur devoir, somme toute. Comment interpréter ce "les chevaux ont tous couru" ? S'agit-il de dire que, pour, une fois, ils n'ont pas marché, ou mieux trotté, ou mieux encore galopé ? Ce qui serait relativement rassurant, car un cheval qui court, curieusement et bien malgré lui, devient humain. Ou bien cela signifierait-il qu'au préalable, il y aurait eu un mouvement de grève hippique, ce qui ferait d'eux des personnages d'un roman de George Orwell, industrial action comme disent nos amis les Grands Bretons dans cette formulation aseptisée et dénuée de sens? Cela implique-t-il qu'après négociations avec les entraîneurs, les chevaux ont accepté de participer à la course du jour ? Faut-il autrement y voir le signe d'une cohésion retrouvée ? Est-ce que cette fois on a "couru" d'un même élan, sans dissension et, bien évidemment, sans coup de pied en vache, et est-ce qu'on a vu une seule crinière et une seule paire de naseaux ? Ou alors il convient d'y déceler une forme de solidarité, de respect du public, pour reprendre une expression creuse dans l'air du temps, ils venaient de loin, d'Argentine pour les plus petits, du Caucase, d'Arabie pour les plus beaux, mais "ils ont tous couru", à la bonne heure !
Voilà bien une formulation qui laisse rêveur. Dirait-on, à l'issue d'une étape de la farandole de l'industrie pharmaceutique, le Tour de France donc, que les cyclistes ont tous pédalé ? S'aventurerait-on à dire aussi qu'au terme d'une journée de championnat de France de football de Ligue 1, que les footballeurs ont tous joué au football ? Là, c'est curieux, mais on ne rêve plus.