En ce mercredi 22 mai, l’assemblée nationale était appelée à examiner le projet de loi de réforme de l’enseignement supérieur présenté par la ministre Geneviève Fioraso. Un des points qui a suscité le plus de réactions, à juste titre, est la volonté de proposer aux étudiants français une partie de l’enseignement qui leur est dû en anglais. Jusqu’à présent, seuls celles et ceux qui n’ont aucune expérience ni aucune compétence dans l’enseignement de la langue anglaise, y compris dans le Club de Mediapart, ont applaudi à tout rompre à cette proposition aussi stupide que démagogique et suicidaire. Cette incompétence s’étend à la ministre elle-même, dont la fiche Wikipédia la présente avantageusement comme ayant enseigné à la fois l’économie et l’anglais dans un GRETA (GRoupement d’ETAblissements, organismes de l’Education Nationale qui prennent en charge la formation des adultes, en général) après une maîtrise dans les deux matières, fichtre ! Comprenez en termes clairs que Madame Fioraso n’a passé aucun concours d’enseignement ni en anglais ni en économie et n’a donc jamais reçu la moindre formation nécessaire à enseigner correctement dans ces deux domaines et n’a jamais entrepris la moindre recherche. Que l’on ne s’y méprenne pas, on fait de l’excellent travail dans les GRETA, mais avec du personnel enseignant dûment qualifié, ce qui n’est pas le cas de madame la ministre.
Il est vraiment navrant et inquiétant de voir ressurgir cette tendance absurde et cette conception utilitariste de la langue anglaise qui conforte l’international English, qui, de feu Yasser Arafat à Jacques Delors, pulvérise tout sur son passage sans le moindre égard et rend un triste hommage posthume à un défunt rhinocéros, dont on a assez parlé et qui voyait dans l’anglais la lingua franca du XXIème siècle. Le monde de l’éducation nationale a l’habitude de ces fantasques modes. Dans les années 1970, les présumés bons élèves ne devaient étudier aucune autre langue que l’allemand, l’anglais était pudiquement réservé aux « autres ». De nombreux malheureux enseignants germanistes se sont prêtés volontiers à cette mascarade, dont ils se délectaient avec d’autant plus de volupté qu’ils envoyaient leur propre progéniture dans les classes Camif allemand 1ère langue, non pour aiguiser leur appétit de connaissance de la langue allemande et de la civilisation, mais pour les guider vers une filière de sélection. Les pauvres malheureux ont désormais tout perdu, les effectifs du même niveau aujourd’hui que ceux des classes breton 2ème langue et la considération, puisqu’ils ont mêlé leur choix hautain à ceux de parents d’élèves qui semblaient moins nobles et beaucoup plus racistes. N’entendait-on pas monsieur Michu, à la sortie du collège, dire à madame Plessis-Trévise que « l’allemand, c’est rigoureux », laquelle répondait, avec une réelle gourmandise, que « l’allemand, ce sont, comment dire, des classes choisies ».
Et voilà que quarante plus tard, madame Fioraso ne veut voir qu’une seule tête, anglais de la maternelle à l’université, où l’on ne parlera plus qu’anglais. Cette ridicule capitulation du français face à l’anglais, pour des raisons prétendument économiques, s’accompagne d’une dévalorisation de la langue anglaise et de ceux qui l’enseignent. Cette initiative engendre une confusion entre tourisme, affaires et compétence pédagogique et donne à penser que tout le monde peut enseigner l’anglais. Madame la ministre serait bien inspirée — de toute évidence un gros mot — au lieu de souffler dans les voiles du tout-anglais, d’entreprendre de favoriser l’enseignement de deux langues européennes au collège. L’allemand doit être réhabilité, l’italien fait figure de parent pauvre dans le secondaire. Apprendre une langue vivante, c’est apprendre et comprendre la vie, la culture et les habitudes des autres, ce n’est pas emprunter une voie unique, dont le résultat ne peut être que le franglais, mélange médiocre et bâtard qui met deux langues en miettes. A ce stade, il semble urgent de conseiller quelques lectures à madame Fioraso.
Tout d’abord, le savoureux Let’s Parler Franglais du regretté Miles Kington, qui a fait un ouvrage de sa désopilante rubrique dans l’hebdomadaire satirique, hélas disparu, Punch. Kington se délectait de mettre au pilori le pédantisme, pardon le snobisme, qui consistait et consiste toujours à mêler les deux langues, en un insupportable sabir, pour donner la fausse illusion de maîtriser les deux. Si, d’aventure, il n’est plus disponible, pardon available bien sûr, l’auteur de ce billet le mettra volontiers à la disposition de la ministre. Autre conseil de lecture incontournable, How Mumbo-Jumbo Conquered the World, A Short History of Modern Delusions, de Francis Wheen, ex-éditorialiste du Guardian, qui s’en prend au jargon (mumbo-jumbo). Enfin, il faut que madame la ministre consulte plus régulièrement le blog (hors Mediapart et dans Mediapart aussi, bien sûr) de Bernard Gensane, abonné à Mediapart, et plus précisément cet article-ci, dans lequel Bernard Gensane conseille à la ministre d’aller plus loin et de rendre obligatoire l’enseignement en chinois dans les facultés françaises. Une suggestion supplémentaire : que les universités du sud-est du pays introduise les cours obligatoires en russe pour faciliter l’intégration de la mafia de même nationalité et les relations économiques ainsi engendrées. Enfin, madame Fioraso pourrait méditer sur ce que sa conception de l’anglais ne lui fera jamais comprendre, The Beatles
Revolution :
You say you want a revolution
Well, you know
We all want to change the world.
You tell me that’s evolution
Well, you know
We all want to change the world
But when you talk about destruction,
Don’t you know you can count me out…
Kington, Miles, 1979, Let’s Parler Franglais, Harmondsworth, Penguin Books.
Wheen, Francis, 2004, How Mumbo-Jumbo Conquered the World, London, HarperCollins.
http://bernard-gensane.over-blog.com/