Amanda Knox était une inconnue il y a deux ans. Etudiante sportive et sans histoire de l'université de l'Etat de Washington, à Seattle, elle s'est spécialisée dans les langues étrangères, dans lesquelles elle excelle. Pour parfaire sa connaissance de la langue italienne, elle décide, à l'automne 2007, de partir suivre un cursus à l'université de Pérouse, à la limite de l'Ombrie et de la Toscane. Issue d'une famille modeste, elle a travaillé pendant les trois mois qui ont précédé pour payer le voyage et l'installation. En septembre 2007 elle s'installe dans une maison, occupée par deux autres jeunes femmes, et, plus particulièrement dans un appartement qu'elle partagera avec une étudiante britannique, Meredith Kercher.
L'histoire pourrait s'arrêter là et serait d'une totale et affligeante banalité. Mais en novembre 2007 Meredith Kercher, la co-locataire d'Amanda donc, est retrouvée morte dans ce même appartement. Elle est à demi nue et a été égorgée. De fait, l'inconnue qu'était Amanda Knox est rapidement à la "une", par l'action conjuguée d'une police brutale, d'un juge mystique et d'une presse populaire, qu'elle soit italienne ou britannique, dont le comportement de ses paparazzi et journalistes n'a rien à envier à celui d'une milice. La photo d'Amanda Knox montre une belle jeune fille au visage doux, qui rappelle celui des modèles de David Hamilton des années 1970. Elle a vingt ans et, à bien examiner cette photo, on lui donnerait le bon dieu sans confession, comme on dit chez les bien-pensants du Sud-Ouest et d'ailleurs.
Mais un homme en a décidé autrement. Il s'agit de Giuliano Mignini, juge de son état, auto-investi d'une mission quasi mystique qui consiste à voir, un peu partout, l'œuvre de Satan. Il fait, actuellement, l'objet d'une enquête interne pour conduite professionnelle inappropriée - comme le rapporte Timothy Egan, éditorialiste du New York Times dans son blog du 10 juin intitulé An innocent abroad -, mais, très curieusement, il n'a pas été dessaisi du dossier, ce qui n'est pas de bon augure. En effet, le soir de l'assassinat de Meredith Kercher, Amanda Knox a passé la nuit chez son compagnon, Raffaele Sollecito, fils d'un médecin et notable de Pérouse, lequel Raffaele, curieusement, sera pratiquement ignoré par la presse de caniveau. Mais arrêtée quelques heures plus tard, interrogée sans interprète, alors que son niveau d'italien est faible, puis frappée par les policiers, on lui extorque des aveux.
Depuis novembre 2007 Amanda Knox et Raffaele Sollecito sont inculpés de meurtre et abus sexuel sur la personne de Meredith Kercher. Or quelques mois plus tard, un ressortissant italien, né en Côte d'Ivoire, Rudy Guede, est arrêté et condamné pour ce même meurtre à trente ans d'emprisonnement. Son ADN a été retrouvé un peu partout sur la victime et sur la scène du crime. En revanche aucune trace de l'ADN d'Amanda Knox et de Raffaele Sollecito, qui persistent à clamer leur innocence, n'a été décelé sur le même lieu, comme le rappelle Rachel Donadio, correspondante du NYT en Italie, dans son édition du 17 juin.. Mais qu'importe pour Giuliano Mignini ! Il est persuadé d'avoir à faire à une sorte de secte satanique qui aurait, par le bras de Raffaele et Amanda, fait de Meredith Kercher leur victime. A ce jour les avocats des deux accusés attendent toujours les preuves de ces accusations, alors que Rudy Guede, lui, a reconnu les faits.
Mais le juge pré-cité a une étrange conception de la justice. Douglas Preston, écrivain et journaliste américain, pourrait le confirmer. C'est ce que pensent non seulement Timothy Egan, déjà nommé, mais aussi Paul Harris, journaliste au célèbre Observer, et Tom Kington, envoyé spécial du Guardian à Pérouse. Preston a écrit un livre intitulé The Monster of Florence, qui relate les méfaits d'un tueur en série, qui a sévi il y a quelques années dans la région de Florence. Cas non élucidé, meurtrier non arrêté et le juge était Mignini. Lequel, à la sortie du livre de Preston, relance l'affaire, convaincu que ce dernier détient des informations, et le soumet à un incroyable chantage : s'il reste en Italie, il risque d'être arrêté et de ne pas revoir femme et enfants. Le lendemain, Preston quitte définitivement l'Italie.
Rachel Donadio rappelle, dans son article, qu'en Italie, dit-elle, on est considéré comme coupable jusqu'à ce qu'on ait apporté la preuve de son innocence. Mais n'est-ce pas le cas un peu partout, en raison de nombreuse dérives de toutes sortes ? En revanche, ce que Paul Harris explique est beaucoup plus préoccupant, surtout dans le cas d'Amanda Knox : les procès, en Italie, ne se tiennent que deux jours par semaine – ce qui explique la lenteur du procès en cours commencé en janvier et qui ne se terminera qu'en octobre – et les jurés peuvent aller et venir, se rencontrer et lire tous les journaux et tous les blogs inhérents à cette affaire.
Pour Tom Kington, le pire est que l'acharnement de Giuliano Mignini a fait sombrer dans l'oubli le meurtre sauvage de Meredith Kercher et menace la liberté de deux jeunes étudiants. Face à l'institution judiciaire italienne, en 2009, il vaut mieux être un septuagénaire peu recommandable, accessoirement président du conseil, amateur de mineures et d'amours tarifées qu'une jeune étudiante de vingt ans au casier judiciaire vierge. La famille et les amis d'Amanda Knox ont créé un site pour faire connaître la véritable Amanda Knox