Ce titre pourrait être celui d’un roman de Graham Greene ou même d’un film d’Orson Welles, il pourrait également renvoyer à la berlusconisation actuelle de la société française et à l’agitation frénétique d’une petite secte dont les membres sont prosternés devant leur petit « dieulinquant ». C’est, en vérité, celui que la BBC a donné à un reportage, fait par Andy Brownstone pour la célèbre émission Assignment le 13 juin 2013, qui relatait un fait divers hors du commun en même temps qu’un fait de société tristement révélateur. C’était en septembre 2012 et ce n’est que quelques mois plus tard que la police britannique a commencé à élucider le mystère.
En cette belle matinée d’un dimanche de septembre 2012, des habitants de Portman Avenue, à Mortlake, dans le très calme et très cossu quartier de Richmond, à l’ouest de Londres, appellent la police pour dire que le corps d’un jeune africain d’une vingtaine d’années, vêtu d’un t-shirt, d’un jean et de chaussures de sport, gît au milieu de la rue, à hauteur du numéro 22. Les horribles blessures et l’état du corps de la victime donnent immédiatement à penser à la police qu’il pourrait s’agir d’un accident de la circulation, mais rien, dans la vie quotidienne de cette zone résidentielle, paisible décor britannique digne des années 1960, ne viendra étayer cette thèse, pas davantage que celle d’un assassinat. Les enquêteurs ne disposent d’aucun indice, et commencent, au fil des mois, à tourner leurs regards vers le ciel, puisque Richmond et Hounslow sont sur la route d’atterrissage des avions de ligne qui arrivent à l’aéroport de Heathrow plus à l’ouest.
Dans une des poches de la victime les enquêteurs ont retrouvé d’une part des billets de banque angolais, d’autre part ce qui restait d’un téléphone portable. L’analyse de la carte SIM de ce téléphone va conduire la police, par le biais du dernier sms envoyé, à une ressortissante sud-africaine qui réside en Suisse. Jessica Hunt, nom de la dernière interlocutrice, intriguée par les appels de la police britannique, rappelle puis, effondrée après avoir aidé les enquêteurs à identifier la victime grâce à un tatouage sur le bras gauche, se rend compte qu’il s’agit de José Matata, citoyen du Mozambique. Il était son jardinier, en 2010, lorsqu’elle vivait au Cap, en Afrique du Sud. Il avait fui les inondations et la difficulté de vivre décemment dans son pays natal. Pour mémoire, le Mozambique, petit pays de vingt-cinq millions d’habitants tout en longueur au sud-est du continent africain, entre la Tanzanie et l’Afrique du Sud, est un des pays les plus pauvres du monde, avec un taux de sida parmi les plus élevés du monde.
José rêvait d’un monde meilleur, d’une vie meilleure. En ce jour de septembre 2012, puisque sa vie ne peut être pire qu’au Mozambique, il entre clandestinement en Angola et prend le risque insensé de se glisser, de nuit, dans la soute du train d’atterrissage d’un avion de ligne Luanda-Londres. L’espace, une fois le train d’atterrissage replié, y est extrêmement réduit et l’oxygène rare et, lorsque l’avion est en altitude, la température à l’intérieur de cet espace réduit peut atteindre entre -50 et -60. José était sans doute déjà mort lorsque le train d’atterrissage s’est ouvert au-dessus de Richmond et qu'il est tombé. La police britannique et les habitants de Portman Avenue ont fait inhumer son corps dans un parc avoisinant. Il avait dit à ses proches qu’il donnerait de ses nouvelles, une fois arrivé au Royaume-Uni. Lorsque ce reportage a été diffusé dans le cadre de l’émission Assignment, la famille et les amis de José ignoraient tout de son funeste sort, d’autant que, lorsque la police britannique a pris contact avec les autorités du Mozambique, la terrible réponse obtenue est qu’elles n’avaient aucune trace d’un José Matata.