Benjamin Crowninshield Bradlee, plus connu sous le diminutif de Ben Bradlee, est mort à son domicile de Boston, mardi 21 octobre 2014, à l’âge de 93 ans. Son nom restera à jamais le symbole du journalisme américain indépendant et libre. C’est, en effet, lui qui fit entrer, dans l’histoire et dans la légende, le journal qu’il dirigeait et dont le propriétaire était Katherine Graham, morte en 2001, The Washington Post, en soutenant sans défaillance le travail d’investigation de deux de ses journalistes, Bob Woodward et Carl Bernstein, sur ce que l’on appelle désormais l’affaire du Watergate. Rappelons que Woodward et Bernstein commencèrent à enquêter sur un petit cambriolage commis le 17 juin 1972 au siège national du parti démocrate à Washington, dans un immeuble nommé Watergate.
Leur enquête inlassable et minutieuse va leur permettre de découvrir que les « plombiers », ainsi surnommés puisqu’ils avaient, de prime abord, justifié leur présence par effraction dans l’immeuble du Watergate, en précisant à la police qu’ils étaient venus pour des travaux de plomberie. Depuis ces pieds-nickelés de l’espionnage politique, les deux journalistes du Post vont remonter, en découvrant des tentatives de sabotage, des fonds secrets, et, surtout, des écoutes téléphoniques et des enregistrements illégaux, jusqu’à la Maison Blanche et jusqu’au président de l’époque, Richard Nixon, grand organisateur de ces basses manœuvres, qui sera contraint de démissionner, le 9 août 1974, une première dans l’histoire politique américaine, la veille du jour où le congrès allait voter sa destitution. Ben Bradlee représente tout cela, le directeur de publication qui a soutenu ardemment et vaillamment ses journalistes et qui a résisté aux nombreuses pressions d’un pouvoir corrompu.
Né à Boston dans une famille aisée, son père était banquier, Ben Bradlee fit ses études à Harvard où il fit la connaissance de John Kennedy, qui devint un ami, sans être vraiment membre du cercle des intimes de la première heure, et qu’il retrouvera comme voisin, toujours à Boston, lorsque JFK était sénateur du Massachussetts. Ben Bradlee servit dans la marine américaine pendant la seconde guerre mondiale et fut médaillé pour sa bravoure. Après la guerre il commença sa carrière de journaliste au New Hampshire Chronicle avant d’entrer à l’hebdomadaire Newsweek, en 1950, comme correspondant étranger — il fut notamment en poste à Paris —. C’est pendant cette période que son talent fut remarqué et, en 1965, il fut sollicité par le propriétaire du Washington Post, Philip Graham, époux de Katherine, pour devenir directeur d’édition. En moins de trois mois il devint directeur de la rédaction, puis, dans l’année qui suivit, directeur de publication jusqu'en 1991. Son association avec Katherine Graham, qui prit la direction générale à la suite du suicide de son mari, marqua un développement spectaculaire du quotidien et, surtout, un soutien permanent aux journalistes dans le cadre de leur travail.
Le traitement de l’affaire du Watergate valut le prix Pulitzer pour Bob Woodward et Carl Bernstein, un livre puis une adaptation cinématographique, All the President’s Men, complétèrent l’aura nationale et internationale. Au total le Post décrochera 18 prix Pulitzer. Ben Bradlee, dont l’honnêteté intellectuelle était sans faille, fut rongé jusqu’à sa mort par le 19ème Pulitzer, qui avait été attribué à Janet Cooke, pour son reportage intitulé Jimmy’s World, histoire d’un enfant de 8 ans héroïnomane, et qui dut être restitué. En effet Janet Cooke non seulement avait menti sur son cv de journaliste mais avait également inventé cette histoire de toutes pièces. Ben Bradlee, humilié, donna sa démission, que Katherine Graham refusa. Et la rédaction lui rendit, en cette occasion, tout le soutien que Bradlee avait déployé envers ses collègues pendant leurs investigations. Après le Watergate, Ben Bradlee lança cette phrase mémorable et ô combien d’actualité : from Watergate on, I started looking for the truth after hearing the official version of the truth, ce qui signifie : à partir du Watergate j’ai commencé à chercher la vérité après avoir entendu la version officielle de la vérité.
En 2013, Ben Bradlee a reçu, des mains de Barack Obama, The Medal of Freedom, la plus haute distinction américaine. Ben Bradlee, un modèle, une référence, un homme libre aux antipodes des laquais en cour.
A lire sa nécrologie dans le Guardian :
http://www.theguardian.com/us-news/2014/oct/22/ben-bradlee-dies-washington-post-editor-watergate
Et dans le NYT :
Et dans le Washington Post, "son" journal :
http://www.washingtonpost.com/national/ben-bradlee-legendary-washington-post-editor-dies-at-93/2014/10/21/3e4cc1fc-c59c-11df-8dce-7a7dc354d1b1_story.html?hpid=z1