Le Royaume-Uni et la coalition à majorité conservatrice sont secoués par un scandale qui, s'il n'a pas encore pris les proportions qu'il mérite, est extrêmement révélateur des relations entre presse et pouvoir d'une part, et de la conception de la pratique journalistique par un certain groupe de presse d'autre part. Andy Coulson était jusqu'au vendredi 21 janvier le directeur de la communication du gouvernement dirigé par David Cameron. Il a démissionné à la suite de révélations concernant son activité antérieure, à savoir journaliste à l'hebdomadaire The News of the World, appartenant au groupe News International Corporation, propriété du très contesté Rupert Murdoch, et spécialisé dans la vie privée de la famille royale et des présumées célébrités.
Andy Coulson est fortement soupçonné d'avoir encouragé et pratiqué lui-même, en sa qualité d'ex-rédacteur-en-chef du journal pré-cité, des écoutes téléphoniques illégales sur les téléphones portables de plusieurs acteurs et actrices britanniques, dont notamment Jude Law et Sienna Miller, afin d'obtenir des scoops. Non seulement cette pratique détestable, qui n'a rien à voir avec le journalisme, est condamnée par tous les acteurs de la vie politique et médiatique du Royaume-Uni, mais elle va connaître un prolongement judiciaire, plusieurs des victimes potentielles du News of theWorld ayant porté plainte.
Au-delà des agissements eux-mêmes typiques de la presse tabloïde britannique qui sont extrêmement choquants, deux faits le sont encore bien davantage : d'une part Rupert Murdoch non seulement était au courant, mais, en plus, il encourageait ses journalistes à espionner ainsi pour faire vendre, sa vocation étant celle d'un marchand de papier mais certainement pas celle de journaliste ; d'autre part, les quality papers britanniques avaient laissé entendre, depuis la fin du printemps, que News Corp. allait au-devant de quelques ennuis avec la justice en raison de sa très nauséabonde conception du journalisme. Il est donc assez étonnant, dans de telles conditions, que David Cameron ait embauché comme directeur de sa communication un homme, Andy Coulson, qui traînait un tel boulet. Tout le monde semblait savoir à Londres, au mois de mai, que Coulson n'était guère recommandable, sauf le futur premier ministre.
Ou alors le savait-il et n'en a pas tenu compte. Dans les deux cas c'est gravissime et sinistre pour l'image de la politique et de la presse, dans un pays qui a toujours montré une conception des deux domaines différente de celle du continent. Comme un malheur n'arrive jamais seul pour la presse, le premier à s'exprimer sur le sujet, comme le rappelle le Guardian du 22 janvier, a été l'ex-directeur de communication de Tony Blair, Alastair Campbell qui a parlé de stench, puanteur à propos de cette affaire. On peut se demander si Campbell était le mieux placé pour intervenir. Certes il ne s'est jamais rendu coupable des faits qui sont reprochés à Coulson, mais, d'une part il travaillait au Daily Mirror, qui n'a jamais fait partie des quality papers, d'autre part il ne s'est jamais montré d'une courtoisie exemplaire avec ses ex-collègues.
Comme cela a déjà été rappelé dans ce blog, lorsque Campbell a pris ses fonctions de directeur de le communication de Tony Blair en 1997, il a accueilli les journalistes politiques au 10 Downing Street, les pieds sur la table en leur lançant : Explain to me just why I should waste my time with a load of wankers like you when you're not going to write anything I tell you anyway, langage fleuri qui signifie : Expliquez-moi pourquoi je devrais perdre mon temps avec une bande de branleurs comme vous, alors que de toute façon vous n'allez rien écrire de ce que je vous dis d'écrire. Propos rapportés par Peter Oborne dans son ouvrage Alastair Campbell, New Labour and the Rise of the Media Class, éditions Aurum, 1999, p.179. Le mal ne date pas de l'arrivée des conservateurs au pouvoir, mais il s'est aggravé et Cameron peut se demander, avec angoisse, si, lui aussi, n'a pas été mis sur écoute par son directeur de communication. Roy Greenslade, éditorialiste au Guardian et professeur de journalisme à l'Université de Londres, a écrit un livre, en 2003, qui demeure une référence et dont le titre est, à lui seul, un résumé du fléau que constitue la presse tabloïde, Press Gang, How Newspapers Make Profit from Propaganda.
(Crédit photographique Luke MacGregor / Reuters)