Littéralement un parlement suspendu, c’est-à-dire bloqué, sans majorité. C’est la principale leçon qu’il faut tirer du sondage réalisé par ICM, l’institut de sondage britannique, réalisé pour le quotidien The Guardian, et commenté par le directeur de la rédaction, Patrick Wintour, et par Julian Glover, dans l’édition du 23 février 2010. Dans la perspective de plus en plus proche d’élections législatives générales, le Parti Travailliste obtiendrait 30% des suffrages, soit un point de plus par rapport au dernier sondage, le Parti Conservateur 37%, soit trois points de moins que prévu, les Libéraux Démocrates 20%, soit un recul d’un point et les partis dits petits environ 13%. Il n’y aurait donc pas de majorité nette ni d’un côté, ni de l’autre.
Ainsi, donc, contre toute attente, Gordon Brown, et avec lui le Parti Travailliste, s’accroche au bastingage et la déroute annoncée depuis des semaines et des mois semble, sinon s’éloigner, tout au moins ralentir sa course. Pourtant rien n’aura été épargné au parti au pouvoir, depuis les luttes féroces, à l’automne, au sein de la majorité parlementaire pour évincer un leader jugé peu populaire et peu charismatique, jusqu’au récent ouvrage d’Andrew Rawnsley, chef du service politique de la ‘Sunday sister’ du Guardian, The Observer, ouvrage dans lequel l’actuel premier ministre est clairement accusé de brutaliser ses plus proches collaborateurs de la voix et du geste. Mais c’est sans doute ailleurs qu’il faut chercher une explication cohérente à ce sondage totalement inattendu et déconcertant.
En effet, ces chiffres ne montrent pas nécessairement un regain d’amour des Britanniques pour Gordon Brown, mais plutôt une désaffection considérable pour le Parti Conservateur et son jeune chef, David Cameron, qui caracolaient en tête de tous les sondages à ce jour, avec des écarts souvent très confortables, jusqu’à 45%, par exemple, en octobre 2009. Les conservateurs ont perdu de la crédibilité dans le domaine économique et dans la proximité sociale. Si cette situation perdure, elle pourrait raviver des souvenirs, notamment celui de l’éphémère et fragile Lib-Lab pact de la fin des années 1970, puisque les travaillistes pourraient avoir besoin d’un appoint de voix pour garder le pouvoir, auquel cas ce serait l’heure de gloire de Nick Clegg, le leader des Libéraux Démocrates.
Mais le Royaume-Uni n’en est pas encore là, et, d’ici la fin du mois de mai, période probable des prochaines élections, beaucoup de choses peuvent encore se passer. Il est un fait que les deux grands partis devraient, en tout cas, méditer, c’est le taux d’abstention qui menace et le désintérêt croissant des électeurs les plus jeunes face à une classe politique décalée. Le partage inégal des richesses et l’exclusion des jeunes seront des questions majeures dans la prochaine campagne.
Dans le dernier numéro de l’excellente Revue Française de Civilisation Britannique, volume XV, n°3, automne 2009, Corinne Nativel, maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, et abonnée à Mediapart, a rédigé un article extrêmement pertinent et intéressant sur « Le durcissement des politiques de workfare envers la jeunesse britannique », par le biais de l’analyse sociale de tous ceux que l’on désigne par l’acronyme NEET, Not in Education Employment or Training. Non seulement la classe politique dans son ensemble ne semble guère comprendre les difficultés, mais, en plus, elle durcit le ton vis à vis de cette génération, qui, de cette nouvelle échéance, n’en aura cure. A hung parliament? Maybe for good.