Pendant que le monde glisse lentement mais sûrement vers une récession profonde, pendant que le parti républicain américain retourne vers le Palinéolithique, pendant que le parti socialiste français n'en finit pas de se déchirer vainement, pendant que le président de la République continue sa pratique schizophrénique du pouvoir, Rupert Murdoch, le magnat australo-américain de la presse, lui, continue tranquillement ses petites affaires, tisse sa toile et développe ses inimitiés. Ainsi, comme on le sait maintenant depuis quelque temps, Murdoch a racheté le célébrissime et respecté Wall Street Journal, pour le plus grand désarroi de la famille Bancroft qui en était le propriétaire, et au plus grand effroi de la rédaction. Or voilà qu'il rêve désormais d'en faire le premier quotidien américain et de détrôner le très respectable New York Times.
Cette idée n'était pas fondée sur une stratégie spécifique, mais sur une rancune tenace, puisque le personnage n'aime pas que l'on se mette en travers de sa route, comme le rapporte Paul Harris, journaliste à l'hebdomadaire britannique The Observer, dans l'édition du 28 septembre. En effet pour célébrer son arrivée à la tête du WSJ, Murdoch avait organisé, à la fin du mois de juin 2007, une petite sauterie sur le yacht complaisamment prêté par son ami et investisseur, le milliardaire Barry Diller. Arthur Sulzberger, directeur de publication du NYT, figurait parmi les invités. La conversation y fut aimable et urbaine, il y eut du "Dear Rupert" et du "Dear Arthur", mais le lendemain, le 25 juin donc, le même "Dear Rupert" s'étrangla d'indignation en lisant un article du NYT, qui lui était consacré et dont on peut prendre connaissance sur ce lien.
Il n'était plus question là du "Dear Rupert", mais du despote de la presse industrielle, ami des dictateurs chinois en Chine, proche des travaillistes du New Labour au Royaume-Uni comme des conservateurs, et fer de lance du soutien à Bush pour l'invasion de l'Irak, à travers ses medias américains, la chaîne Fox News et le quotidien The New York Post. Rupert Murdoch est donc un pionnier de l'opportunisme, précurseur des méthodes fort regrettables de l'actuel président de la République française. De fait, on peut constater sur ce premier lien de YouTube, que, décidément Murdoch n'est étouffé ni par ses convictions morales ni par sa constance, puisqu'on le voit se réjouir de l'éventuelle élection de Barack Obama, et, sur cette deuxième vidéo, louer l'ordre que la démocratie ne peut que mettre en danger.
A ce cynisme et ce sens du calcul Rupert Murdoch ajoute une grande habileté. Lorsqu'il a pris les rênes du WSJ, il a commencé par licencier le directeur en place, Marcus Brauchli, contrairement à ses promesses antérieures, et à le remplacer par un de ses hommes de main du groupe News Corp, Robert Thomson. Alors que tout le monde s'attendait, y compris la rédaction du WJS, à ce qu'il fasse du journal américain une sorte de tabloïd de la finance, avec les inévitables starlettes aux poitrines dénudées et généreuses – dont Jordan Pouille, heureux témoin de l'intérieur nous a assurés, dans un précédent commentaire, qu'elles sont d'origine – Murdoch a maintenu la continuité du quotidien. Néanmoins, le petit empereur d'Australie se trompe d'une guerre et l'état-major du NYT doit bien rire sous cape, car même si le WSJ détrône un jour le NYT, hypothèse autant probable que la nomination de Sarah Palin à la tête du FMI, le NYT a, de très loin, le meilleur site national et international, petit détail qui aura échappé à Murdoch dans son aveuglement haineux.