
Photo : Willis Slide, 1964.
Hier, c’était le 22 novembre, rien que très banal et, somme toute, sans grand intérêt, mais, il y a quarante-huit ans, John Fitzgerald Kennedy était assassiné à Dallas. Le 22 novembre 1963 est une date que la génération à laquelle j’appartiens n’est pas près d’oublier. 1 pm, central time, Walter Cronkite, des larmes dans la voix, annonce la mort du président américain. De ce côté-ci de la Manche, notre Cronkite, feu Maurice Séveno confirme à 20h30, French time. Tout a été dit, filmé, écrit, publié, imaginé, seuls des lampistes vite et opportunément disparus ont été livrés en pâture, sans que l’on ne découvre les commanditaires. En ce sinistre quarante-huitième anniversaire, le New York Times a remis en mémoire l’insolite présence de l’homme au parapluie.
En fait Errol Morris a remis au goût du jour une célèbre chronique du très regretté John Updike, intitulé The Umbrella Man, dans sa rubrique Talk of the Town (toute la ville en parle), dans le New Yorker, en décembre 1967. Quatre ans après l’assassinat de Kennedy, le but d’Updike était simplement de s’interroger : que faisait donc ce quidam, sur la Dealey Plazza de Dallas, sur le parcours présidentiel, avec un parapluie largement ouvert, alors que le soleil brillait et qu’il n’y avait pas un nuage dans le ciel du Texas ? Certes il avait plu la veille, mais en cette matinée du 22 novembre, le temps était redevenu beau. Cependant la température était celle d’une matinée d’automne, donc aucune chaleur excessive qui aurait pu justifier l’usage d’un parapluie en guise d’ombrelle. Après tout, c’était son droit le plus strict à cet américain, semble-t-il moyen, d’être à cet endroit.
Certes, mais les témoignages sont formels et concordants. C’est après avoir dépassé l’homme au parapluie que le cortège présidentiel a commencé à essuyer la salve qui devait emporter définitivement JFK. Une coïncidence, sans doute, probablement. Pas du tout, ont rétorqué les adeptes du complot et de la conspiration, qui affirment que lorsque le dit quidam a ouvert son parapluie, à l’approche de la voiture du président, un homme, sur le trottoir d’en face, a sorti un talkie-walkie. C’est vrai. Le film de Zapruder le confirme. Sans doute un membre de la sécurité. Nouvelle coïncidence. Toujours pas pour les amoureux du complot ! Il y avait un appareillage, dans le parapluie, qui a permis d’envoyer une flèche, dans la gorge de JFK, qui le paralysa aussitôt. Diable ! C’est vrai également que l’on voit Kennedy porter la main à sa gorge, mais peut-être s’agissait-il de la première balle.
D’autres prétendent que le parapluie a servi de point de mire aux différents tueurs postés autour de la place. Des policiers auraient entendu quelqu’un crier : le parapluie est toujours ouvert, continuez à tirer ! Bon, d’accord. Mais alors comment expliquer que The Umbrella Man, alors que le cortège fonce vers l’hôpital, s’assoit dans l’herbe, après avoir refermé son parapluie. Est-ce vraiment le comportement d’un complice ? Un inconnu qui aurait servi de point de repère et qui s’installe comme s’il allait faire ses mots croisés ? C’est justement ce comportement lunaire, et non pas le complot, qui a intrigué John Updike : The truth about those seconds in Dallas is especially elusive; the search for it seems to demonstrate how perilously empiricism verges on magic, La vérité sur ces quelques secondes à Dallas est particulièrement insaisissable ; la recherche de cette vérité montre à quel point l’empirisme côtoie dangereusement la magie.
L’inconnu du 22 novembre 1963 n’en est plus vraiment un. Il s’appelle Louie Steven Witt. Il travaillait, à l’époque dans une compagnie d’assurances de Dallas. Etonnée que la police ne l’ait jamais interrogé, - notons incidemment qu’Oliver Stone n’a jamais jugé bon de le solliciter avant de réaliser son film sur l’assassinat de JFK - une commission sénatoriale a retrouvé sa trace et l’a auditionné en 1978. Louie Steven Witt est venu, avec son parapluie !, et a répondu, fort aimablement à toutes les questions qui lui ont été posées. Que faisait-il donc là, le 22 novembre 1963 ? Et pourquoi ce parapluie ? Il était venu protester contre la nomination du père de John, Joe Kennedy, comme ambassadeur des Etats-Unis au Royaume-Uni, en 1938, auprès d’un premier ministre, Neville Chamberlain, ouvertement pro-nazi. De plus, comme Louie Steven Witt voulait manifester sa mauvaise humeur, il savait que JFK n’aimait pas les parapluies. Tout est clair maintenant ! Il s’agissait bien d’un complot, fomenté par les Pieds Nickelés, avec un parapluie volé à Tryphon Tournesol…