L’émission de la chaîne britannique Channel 4, Dispatches, programmée pour le lundi 23 février, a déjà provoqué une onde de choc considérable dans le royaume, avant même sa diffusion. En effet, un groupe de journalistes du quotidien The Telegraph et de la chaîne de télévision Channel 4 ont monté une supercherie qui a fonctionné au-delà de leurs espérances et qui a démontré l’étendue de la corruption au sein de l’ancestrale Chambre des Communes. En se faisant passer pour les intermédiaires d’une entreprise chinoise imaginaire située à Hong-Kong, les journalistes ont sollicité 12 députés des divers bords politiques pour obtenir, contre une rémunération totalement illégale, une aide, tout aussi illégale, pour faciliter l’arrivée de cette même entreprise sur certains marchés.
Un des députés les a envoyés promener vertement, neuf autres n’ont délibérément même pas répondu, mais deux, et non des moindres, ont mordu à l’hameçon. Jack Straw, tout d’abord, ministre de l’intérieur du premier gouvernement Blair (1997-2001), puis ministre des affaires étrangères de 2001 à 2006, leader de la Chambre des Communes de 2006 à 2007, député de la circonscription de Blackburn dans le Lancashire depuis 1979. Sir Malcolm Rifkind ensuite, membre de tous les gouvernements conservateurs depuis Ted Heath jusqu’à David Cameron, élu depuis 1970 tout d’abord de la circonscription d’Edimbourg Centre, siège perdu en 1997 au profit du Labour, puis de Kensington et Chelsea depuis 2005, et — détail pittoresque en la circonstance — président du Intelligence and Security Committee depuis 2010. Tous deux ont accepté de rencontrer les émissaires de cette entreprise fictive, ont été filmés à leur insu et ont monnayé leur entremise, au mépris le plus total du Code of Conduct (en particulier l’alinéa 4) des parlementaires de Westminster.
Jack Straw a clairement indiqué qu’il « facture » le moindre discours d’intervention pour un dossier en cours autour de 5.000 £, soit environ 6.900 €, comme le montre cette vidéo. Malcolm Rifkind a assuré ses interlocuteurs qu’il était déjà intervenu avec succès pour privilégier les intérêts de plusieurs entreprises nationales et étrangères. Il a poussé le cynisme et l’incongruité un peu plus loin en affirmant qu’avec une indemnité parlementaire de 67.000 £ par an, soit l’équivalent de 7.700 € par mois on ne peut pas vivre décemment, comme il a osé le déclarer au quotidien The Independent, les chômeurs britanniques apprécieront. Si l’attitude de Straw et Rifkind est particulièrement choquante, surtout en période de crise économique qui frappe les plus démunis à l’intérieur et à l’extérieur du Royaume-Uni, le Guardian, dans son édition du 23 février, a affirmé que plus de 20 députés britanniques gagnent plus de 100.000 £ par an, en plus de leur indemnité parlementaire, au mépris du Code of Conduct cité plus haut.
Si cette enquête journalistique est tout à l’honneur de l’esprit d’indépendance des journalistes britanniques, il convient, néanmoins, de rappeler que, pour le Daily Telegraph, elle arrive à point nommé, une semaine après que le Guardian a révélé que les deux frères Barclay, Frederick et David, propriétaires du dit Telegraph, ont bénéficié d’un prêt plus que douteux dans sa forme de 250 millions de livres sterling de la part de HSBC et ont fait pression sur la rédaction pour qu’aucun journaliste de « leur » journal n’enquête sur le sujet. A ce jour aucune sanction n’a été prise par Ed Miliband et le Labour à l’encontre de Jack Straw. Rifkind, quant à lui, a été suspendu du parti conservateur, hier, mais refuse obstinément de démissionner de la présidence du Intelligence and Security Committee ! Dans l’immédiat il sera bien difficile de dire à qui profitent ces nouvelles turpitudes parlementaires, car le parti populiste fourre-tout UKIP est en proie à quelques difficultés.
D’une part il est avéré qu’au moins trois des supporteurs de Chelsea, pris en flagrant délit de racisme à la station du métro parisien Richelieu-Drouot la semaine dernière, sont des sympathisants UKIP. Enfin, ce même parti est sur la sellette depuis la diffusion, sur Channel 4 encore, le lundi 16 février, d’un docu-fiction imaginant la victoire du parti de Farage aux législatives du 7 mai 2015 et intitulé The first 100 days, entendez par là les 100 premiers jours de UKIP au pouvoir. Cette fiction avait pour but de montrer aux électeurs britanniques à quel point il serait dangereux de confier leurs votes à ce parti. Voilà bien une différence de taille entre le Royaume-Uni, qui n’est certes pas la référence absolue dans tous les domaines mais dont les journalistes usent de toute leur influence pour tenter de préserver la démocratie et la transparence, et la France où les chaînes de radio et de télévision publiques invitent les fascistes au moins une fois par semaine.