The Day After, c’était le titre d’une super-production hollywoodienne et dystopique de 1983, littéralement le jour d’après (une explosion nucléaire planétaire). N’exagérons rien, nous n’en sommes pas là avec le Brexit, mais il convient de rappeler que le premier ministre conservateur, David Cameron, est bien un authentique apprenti-sorcier. Lorsqu’il a lancé l’idée d’un référendum sur l’appartenance à l’UE, en 2010 puis en 2013, le renforcement de l’idée européenne était bien le cadet de ses soucis.
Il s’agissait ni plus ni moins que d’une manœuvre de politique intérieure afin de contrer puis de marginaliser l’émergence de UKIP, United Kingdom Independent Party, mais aussi de limiter son influence au sein du parti conservateur. C’est un euphémisme que de dire qu’il a tout perdu en une journée. Cameron, du haut de sa molle suffisance, croyait dur comme fer que les eurosceptiques allaient perdre et qu’il sortirait de ce référendum, venu de nulle part, plus fort dans son parti, dans son pays et dans l’UE.
On connaît la suite, Cameron ne sera plus premier ministre (Cameron exit) avant l’automne (engagement incidemment bien lointain, de Gaulle en 1969 avait quitté le pouvoir le lendemain) et son pays ne sera plus membre de l’UE. D’ailleurs la preuve est faite qu’il s’agissait bien d’une lutte de pouvoir chez les Tories, et rien d’autre, puisque Boris Johnson, chantre sans vergogne du Brexit après avoir publié il y a deux ans un ouvrage à la gloire de Churchill et de tous les bienfaits de l’Europe (The Churchill Factor), a, dans ses premières déclarations vendredi matin, persisté dans le mensonge : we will pass our laws and set our taxes, nous voterons nos lois et mettrons en place nos propres impôts, comme si l’UE empêchait le parlement britannique de fonctionner dans ces deux domaines !
Mais le même Johnson a habilement pris soin de dire que le retrait prendrait du temps (pour mieux perpétuer le chantage sur l’UE ?) et de se démarquer de l’infâme Farage, sur le sujet de l’immigration. Vaste jeu de dupes proprement ahurissant !
Mais est-ce vraiment une nouvelle tragique ? Ne serait-ce pas plutôt « une catastrophe bienvenue », excellente question posée par François Bonnet, puisque, non seulement le RU était membre de l’UE sans l’être vraiment, mais en plus il était, il est, l’emblème du libéralisme le plus sauvage et le plus dévastateur au sein de l’Union. Cette Europe-là ce n’est pas celle dont rêvent les démocrates, les électeurs, les salariés, ce n’est non plus celle que Pierre Mendès France appelait de ses vœux en 1957, comme l’a judicieusement rappelé Edwy Plenel.
Bref ce départ va peut-être engendrer un utile débat sur ce que doit être l’UE. Car les deux misérables apprentis-sorciers ont oublié un détail de poids. Tout comme Jacques Chirac avait, en 1997, « dissous la droite » (selon le bon mot des Guignols, bien avant leur reprise en main par le général-en-chef Bolloré) en croyant dissoudre l’assemblée, Cameron et Johnson vient de détruire ce qui restait du peu d’unité de façade du Royaume-Uni, qui, depuis ce matin, porte très mal son nom, comme l’a montré Thomas Cantaloube, dans sa remarquable analyse.
En effet, les chiffres publiés dans la matinée par le Home Office, la BBC, le Guardian et tous les autres médias, sont là pour apporter la preuve concrète que l’Angleterre est seule désormais. En Écosse, la première ministre, Nicola Surgeon, s’est interrogée publiquement sur le caractère anti-démocratique de cette nouvelle situation qui lie son pays à l’Angleterre, alors que les Écossais ont voté à plus de 62% pour rester dans l’UE, et, donc, sur la nécessité de remettre au goût du jour l’indépendance, rejetée par 54% il y a deux ans. Un prochain Scotland remain, donc, SCremain ?
Par ailleurs, le Pays de Galles, quant à lui, a choisi de voter comme la maison-mère à 52,5%. L’Irlande du Nord a, de son côté, voté à 55,8% pour demeurer européenne, résultat qui relance l’idée d’une réunification, puisque la République d’Irlande, totalement indépendante de la couronne britannique, garde jalousement et fièrement son appartenance à l’UE.
Reste un autre problème de taille pour les conservateurs, si Londres a voté IN à 59,9%, l’Angleterre rurale et les autres grandes villes ont opté pour le OUT à 57%, une véritable résurgence du roman d’un autre conservateur, clairvoyant celui-là, Benjamin Disraeli, deux fois premier ministre au XIX ème siècle, Sybil or a Tale of Two Nations (1854). Les deux « nations » que Disraeli voyaient émerger dans un affrontement violent, les riches et les pauvres. Non seulement l’Angleterre est isolée mais Cameron l’a ramenée deux siècles en arrière. Quant au Labour, en raison de l'engagement fort peu enthousisate de Jeremy Corbyn dans cette campagne, il va lui être très difficile d'éviter un débat sur son leadership.