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Billet de blog 25 avril 2010

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Allan Sillitoe (1928-2010)

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Le romancier britannique Allan Sillitoe est mort ce dimanche 25 avril au Charing Cross Hospital de Londres. Il avait 82 ans. D'origine modeste, Allan Sillitoe est né à Nottingham le 25 mars 1928. Son père était ouvrier à l'usine Raleigh, tout comme, Arthur Seaton, le personnage principal de Saturday Night and Sunday Morning, Allan Sillitoe était resté fidèle à ses origines, à son milieu social et au parti travailliste, dont il fut un militant pendant de longues années, avant de prendre ses distances, tout en restant sympathisant. Il refusait l'étiquette d'intellectuel. Il avait quitté sa Grammar School, à l'âge de 14 ans, pour travailler, lui aussi, à l'usine Raleigh, pendant quatre ans.

Il s'engagea, ensuite, dans la RAF, pour devenir opérateur radio en Malaisie. Mais la tuberculose le conduisit, tout d'abord, à l'hôpital pendant presque deux ans. Sa convalescence se passa ensuite en Espagne et en France, cette dernière destination fera naître un grand sentiment de francophilie. Allan Sillitoe avait une maison à Saint-Pargoire, dans l'Hérault, où il adorait s'évader. Il faisait partie des Angry Young Men, et, tout comme le dramaturge John Osborne, il était très agacé par cette étiquette, qu'il récusait et qui, à ses yeux, ne correspondait à rien.

Son premier roman, publié en 1958, alors qu'il avait à peine trente ans, Saturday Night and Sunday Morning, fut un succès immédiat. Son style tenait de celui qu'il admirait, Ernest Hemingway, ce qui n'est guère étonnant, puisque Hemingway faisait partie de la lost generation, et Sillitoe, quant à lui, était, à son corps défendant, un des Angry Young Men, avec Harold Pinter, Arnold Wesker, John Osborne et John Braine. Or l'objet même de ces Angry Young Men, à travers leurs pièces de théâtre ou leurs romans, c'était la désillusion totale dans la Grande-Bretagne d'après-guerre et le manque total de perspectives pour la classe ouvrière. Son second roman, au cadre social tout aussi dur que le premier, The Loneliness of the Long distance Runner, fut également un succès immédiat, en 1959. Les adaptations cinématographiques des deux romans, par Tony Richardson, furent aussi des triomphes et lancèrent la carrière des grands comédiens, Albert Finney et Tom Courtenay.

Allan Sillitoe publia, au total, une quarantaine de romans, quelques nouvelles et des essais, mais son aura resta ancrée sur ses deux premiers succès immortalisés par le cinéma. Ses deux premiers romans sont classés, au Royaume-Uni, dans la catégorie des sink dramas, c'est-à-dire littéralement des drames qui se passent dans la cuisine, près de l'évier (sink) pour être tout à fait précis, et qui reflètent à la fois la réalité et la difficulté de la vie quotidienne des working-class characters. Les pièces de théâtre de Pinter, d'Osborne et de Wesker sont de même nature.

J'avais eu le privilège singulier et l'honneur de rencontrer Allan Sillitoe en août 1993, lors de "Rencontres d'Anglicistes", que j'avais organisées pour l'APLV (Association des Professeurs de Langues Vivantes) à l'IUT de Besançon. J'avais invité Graham Swift, Iris Murdoch et Allan Sillitoe. Les deux premiers déclinèrent l'invitation, en raison d'agendas trop chargés, mais en répondant d'une manière simple et exquise. Allan Sillitoe répondit tout aussi aimablement, accepta l'invitation et illumina de sa présence ces Rencontres.

J'en garde, personnellement, un souvenir extraordinaire, car Sillitoe était brillant, simple et chaleureux. J'avais, en mémoire une image insolite tirée de la lecture de Saturday Night and Sunday Morning, que j'avais adoré, et je m'attendais, je ne sais trop pourquoi, à rencontrer une "armoire-à-glace" à l'image des personnages de son roman, et je vis, amusé, un petit bonhomme sautillant, plein d'humour, de finesse et de gentillesse, descendre du TGV. Le reste ne fut que délectation et les participants en ont gardé un souvenir ému. J'ai, avant et après, échangé une bonne quinzaine de lettres avec Allan Sillitoe, et je garde précieusement ses lettres comme preuves de son humour inextinguible. Il m'expliquait, dans une lettre du 25 septembre 1993, la distance prise avec le Labour, parce qu'il ne sentait pas l'âme d'un militant qui doit tout avaler, ainsi : ...You can imagine how my good name suffered when such a view (sa démission) was made. Jeu de mots savoureux entre son patronyme Sillitoe et l'expression to toe the line, qui signifie, pour la base, serrer les rangs.

Les premières lignes de Saturday Night and Sunday Morning sont gravées dans ma mémoire, parce qu'elles sortaient de la bienséance feutrée de la littérature habituelle : The rowdy gang of singers who sat at the scattered tables saw Arthur walk unsteadily to the head of the stairs, and though they must all have known he was dead drunk, and seen the danger he would soon be in, no one attempted to talk to him and lead him back to his seat. Décoiffant et inoubliable.

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