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Billet de blog 26 juin 2013

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Australie : Julia Gillard se prépare une tricotée

Photo Women's WeeklyDown under, là-bas en-dessous, comme disent les Grands-Bretons en parlant de l’Australie, le moins que l’on puisse dire est que le niveau de la campagne législative ne restera pas dans les mémoires comme exaltante et noble.

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Down under, là-bas en-dessous, comme disent les Grands-Bretons en parlant de l’Australie, le moins que l’on puisse dire est que le niveau de la campagne législative ne restera pas dans les mémoires comme exaltante et noble. Le 14 septembre prochain, les australiens seront appelés à voter pour renouveler les 150 sièges du parlement, comme ils le font tous les trois ans. Les législatives de 2010 ont donné un résultat très serré, puisque l’ALP, Australian Labour Party, et le LNP, Liberal National Party, ont obtenu le même nombre de députés, 72. La victoire travailliste est venue des 6 indépendants qui se sont alliés à l’ALP pour lui donner une précaire et fragile majorité en 2010, année où Julia Gillard est devenue la première femme chef de gouvernement de l’histoire du pays.

Elue pour la première fois en 1998 dans la circonscription de Lalor, province de Victoria à l’ouest de Melbourne, Julia Gillard ne manque ni de panache ni de courage puisqu’elle est devenue très rapidement vice-premier ministre en 2007, puis première ministre en 2010, après avoir défié l’autorité de son leader, Kevin Rudd, en vote interne et l’avoir contraint à la démission pour éviter l’humiliation d’une défaite cuisante au sein de l’ALP. Le développement rapide de la carrière politique de Julia Gillard a suscité beaucoup de jalousie et de machisme. Tout d’abord la première ministre est galloise, elle n’est pas australienne de naissance, ce qui, malgré le caractère multi ethnique de l’Australie, est considéré comme une tare dans une société très conservatrice. Ses parents l’ont emmenée en Australie, à l’âge de cinq ans, en 1966, sur les conseils du médecin de famille pour enrayer une bronchopneumonie, sous un climat meilleur qu’au Pays de Galles.

Julia Gillard s’est lancée dans l’activité politique, en 1998, après une carrière de dix ans comme avocate, année où elle a renoncé à la double nationalité, que lui conférait sa naissance, pour ne garder que sa citoyenneté australienne. Indépendante dans sa vie et sa carrière, le chef de gouvernement australien n’est pourtant pas une pasionaria d’extrême gauche, puisqu’elle est notamment opposée à l’euthanasie et au mariage pour les personnes de même sexe. Mais aujourd’hui, dans une campagne électorale ultra machiste, pendant laquelle le leader de l’opposition a ouvertement et honteusement moqué le physique de Julia Gillard, comme le montre le lien suivant (The menu featured a dish called "Julia Gillard Kentucky Fried Quail – Small Breasts, Huge Thighs & A Big Red Box.") sans que cela ne provoque les réactions outrées que l’on aurait pu légitimement attendre. De plus elle doit faire face à un éventuel retour au sein de l’ALP du vaincu de 2010, Kevin Rudd. Tous ces paramètres ont-ils plongé l’actuelle première ministre dans une angoisse insubmersible, d’autant que les sondages actuels donnent l’ALP largement battu aux législatives de septembre ?

A moins qu’elle n’ait été piquée par quelque mouche australe, toujours est-il que, contre toute attente et alors qu’elle ne s’est jamais présentée aux yeux de l’opinion publique comme une femme d’intérieur, selon l’expression masculine et péjorative, Julia Gillard a sombré dans le ridicule le plus total, comme le montre le Guardian du 25 juin à lire ici, en faisant la « une » de Women’s Weekly, en train de tricoter, circonstance aggravante, un bébé kangourou, confie-t-elle au magazine, en l’honneur de la future naissance de l’enfant de Kate Middleton et du prince William ! La leader des travaillistes australiens aurait voulu anéantir à la fois son combat pour l’égalité des femmes et des hommes et son leadership, elle ne s’y serait pas pris autrement. Le Guardian nous apprend qu’elle était réticente à cette mise en scène, mais que son spin-doctor, John McTernan, qui fut celui de Tony Blair – ce qui aurait dû la faire réfléchir -, l’a convaincue.

Les réactions ont été nombreuses et véhémentes et ont très certainement conduit Julia Gillard à d’immenses regrets. Un des ténors du LNP, a ironisé sur la polysémie de spin a yarn, filer ou raconter des histoires : We know the prime
 minister is good at spinning a yarn, now we have a picture to prove 
it. Parmi les réactions, celle assez ambiguë de Janet Albrechtsen entre soutien et critique à lire ici, éditorialiste de The Australian, propriété, il convient de le rappeler pour nuancer et relativiser, du détestable Rupert Murdoch : Julia Gillard should exit the political stage, perhaps taking up a career lecturing about gender politics, littéralement JG devrait arrêter la politique et peut-être commencer une carrière de conférencière sur la politique des sexes.

Le Brisbane Times s’est délecté en invitant une sénatrice, qui souligne avec une violente ironie le décalage entre Gillard et l’opinion publique et une électrice travailliste passionnée de tricot pour parler de son passe-temps favori tout en tentant – exercice désormais impossible -de soutenir la première ministre, à voir en vidéo ici. Les défenseurs de Julia Gillard ont répliqué en insistant sur la propension de Tony Abbott, leader du LNP, à se mettre en scène à vélo, comme ici dans le triathlon Ironman du New South Wales, mais le mal est fait et, pendant ce temps-là on ne parle plus du rôle des australiennes en politique qu’avec dédain et ironie, et, pire encore, on ne parle plus d’orientation politique.

 P.S. : Julia Gillard a été mise en minorité ce matin même par son propre parti réuni en urgence. Kevin Rudd a été élu leader de l'ALP par 57 voix contre 45 pour Gillard. On peut légitimement se demander si l'étrange initiative de cette couverture de Women's Weekly n'était pas une forme de suicide politique, dans la mesure où les sondages donnent l'ALP archi battu en septembre. Le parti aurait-il considéré qu'il valait mieux un leader consensuel plutôt que clivant ? Julia Gillard va présenter sa démission de première ministre demain et laisse entendre qu'elle pourrait mettre un terme à sa carrière politique.

http://www.guardian.co.uk/world/2013/jun/26/julia-gillard-australia-prime-minister-kevin-rudd

http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-23061391

http://www.nytimes.com/2013/06/27/world/asia/australia-gillard-leadership-vote.html?hp&_r=0

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