Jean-Louis Legalery (avatar)

Jean-Louis Legalery

professeur agrégé et docteur en anglais retraité.

Abonné·e de Mediapart

552 Billets

20 Éditions

Billet de blog 27 juin 2014

Jean-Louis Legalery (avatar)

Jean-Louis Legalery

professeur agrégé et docteur en anglais retraité.

Abonné·e de Mediapart

"Little" Jimmy Scott (1925-2014) : perle rare du jazz

Jean-Louis Legalery (avatar)

Jean-Louis Legalery

professeur agrégé et docteur en anglais retraité.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jimmy Scott en 2006 © Kate Simon

C’est un chanteur américain de jazz hors du commun qui vient de disparaître, le 13 juin, à son domicile de Las Vegas. James Victor Scott avait 88 ans. Il était peu connu de ce côté-ci de l’Atlantique, alors que c’était une référence aux Etats-Unis, notamment pour feu Lionel Hampton, Ray Charles et Lou Reed, et pour David Lynch. Il était né le 17 juillet 1925 à Cleveland, dans l’Ohio, troisième d’une famille de dix enfants et alla d’orphelinat en famille d’accueil à partir de l’âge de treize ans, lorsque sa mère — elle-même issue d’une famille de vingt-six enfants — mourut dans un accident de voiture. Hors du commun, car Jimmy Scott a dû se battre contre la pauvreté et l’adversité une grande partie de sa vie.

Atteint par le syndrome de Kallmann, qui retarde le processus de la puberté, sa taille demeura bloquée à 1,40m jusqu’à ce qu’à l’approche de la trentaine, une croissance tardive et inespérée lui permit de gagner vingt centimètres supplémentaires. Mais c’est surtout sa voix qui subit le contrecoup et resta celle d’un enfant toute sa vie, lui valant le sobriquet désobligeant de Little Jimmy Scott. Il fit face aux préjugés et à la cruauté avec dignité et philosophie, puisqu’il déclara en 2006 : I've been called a queer, a little girl, an old woman, a freak, and a fag. As a singer, I've been criticised for sounding feminine. But I grew to see my affliction as my gift. « On m’a traité d’homo, de petite fille, de vieille, de folle et de pédé. En tant que chanteur on m’a critiqué pour ma voix de femme. Mais avec le temps j’ai considéré ce malheur comme un cadeau ». On ne saurait être plus noble et tolérant, d’autant que cette voix était une authentique merveille, comme le prouve cette interprétation inattendue et époustouflante de la célèbre chanson On Broadway.

En 1947, il s’installe à New York et intègre l’orchestre de Lionel Hampton l’année suivante. Sa notoriété se développe, d’autant qu’en 1950 il enregistre, avec l’orchestre de Lionel Hampton, un titre qui sera un très grand succès, Everybody’s Somebody’s Fool, produit par les disques Savoy, dont le propriétaire, Herman Lubinsky va s’avérer un aigrefin. En effet, en 1962,  Scott enregistre, avec Ray Charles au piano, ce qui doit devenir un immense succès, mais Lubinsky empêche la distribution par la maison de disques ABC, considérant que Scott est toujours sous contrat avec Savoy, alors qu’il n’a plus enregistré avec cette entreprise depuis plus de huit ans. Le disque est bloqué, sa carrière anéantie. Jimmy Scott dépité rentre à Cleveland, où pendant plusieurs années il va survivre comme employé d’hôtel, puis cuisinier. Il va parallèlement continuer à se produire localement, et, peu rancunier apparemment, en 1975, enregistrera un nouvel album chez Savoy. C’est finalement grâce aux encouragements de sa quatrième épouse que Jimmy Scott va, en 1984, alors que le nombre de ses admirateurs n’a cessé d’augmenter, se relancer par une tournée des boîtes de jazz newyorkaises, puis, en 1990, par un nouvel album auto produit.

En 1991, il signe pour une nouvelle maison de disques, Sire, et renoue durablement avec une notoriété largement méritée. En 1993, il chante lors de la soirée inaugurale du premier mandat de Bill Clinton. Suit une série de concerts très réussis en Europe et au Japon. La même année son incomparable voix assure le succès de la bande originale du film Philadelphia, puis il va interpréter un rôle dans le film Chelsea Walls, en 2001, puis dans la série télévisée Twin Peaks. En 2007, il recevra la récompense suprême de Jazz Master et Living Jazz Legend par le Kennedy Center for the Performing Arts, aux côtés de sa cinquième épouse. Avec son humour habituel, il disait de sa notoriété tardive : I wish these things could have happened earlier in my career so I could have enjoyed the retiring years much better. Still, in show business you generally don’t retire…  « J’aurais aimé que ces succès arrivent plus tôt dans ma carrière, de cette façon j’aurais pu profiter de ma retraite beaucoup mieux. Cependant dans le spectacle, on ne prend jamais sa retraite… ».  En ces temps où l’information est soit pépèrisée soit samba-isée, il aurait été dommage qu’un tel talent fait de douceur, de gentillesse et d’originalité passe à la trappe de l’actualité. Le NYT et le Guardian lui ont rendu un bel hommage.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.