En ce jour, quatrième jeudi de novembre, les Américains, d'une côte à l'autre, célèbrent, avec une ferveur aux origines très puritaines, Thanksgiving, fête qui commémore la bonne entente, avec les tribus indiennes, des premiers colons britanniques, lesquels remerciaient leur créateur présumé [littéralement thanksgiving signifie rendre grâce] en dégustant une dinde. L'historien américain Kenneth Davis, auteur notamment de America's Hidden History, dont les détails apparaissent sur son site, jette un pavé, ou plutôt une dinde, dans la mare en signant un article étonnant dans l'édition du 27 novembre du New York Times, dans lequel il affirme qu'il faut déplacer cette célébration au mois de juin et remplacer la dinde par un coq au vin.
Thanksgiving est généralement associé à l'époque des pilgrims, les premiers colons protestants qui avaient fui le Royaume-Uni en raison des persécutions du roi catholique, James I, fils de Mary Stuart, et qui, en 1620, avaient survécu à l'effroyable traversée de l'Atlantique sur le Mayflower en plein hiver. Echoués sur les côtes de ce qui allait devenir le Massachussetts, les quelques survivants n'avaient dû leur salut qu'à la générosité et la solidarité des Indiens qui vivaient sur cette côte est. Thanksgiving fut donc institué pour remercier Dieu et les Indiens et est devenu une véritable fête nationale, chaque quatrième jeudi de novembre.
Que nenni ! s'insurge Kenneth C. Davis, dans le NYT. Selon lui les premiers colons furent des huguenots français qui arrivèrent sur les côtes de Floride en juin 1564, soit près de 60 ans avant le Mayflower. Ces premiers colons construisirent des maisons, un moulin, plantèrent des vignes et vécurent en très bonne intelligence avec la tribu des Timucuans. Davis affirme même que les colons adoptèrent si bien leurs habitudes que certains épousèrent des indiennes et firent de ce lieu ce qu'il nomme A veritable Gallic paradise, un authentique paradis gaulois. L'historien précise même qu'en plus du tabac, les huguenots appréciaient beaucoup de fumer une herbe locale. Hélas pour ces huguenots persécutés en France, le paradis devint rapidement un enfer.
En effet, l'année suivante, en 1565, le roi d'Espagne Felipe II entreprit de "pendre et de brûler tous les luthériens", raccourci haineux pour désigner tous les protestants. Il envoya donc l'amiral Pedro Menéndez qui fit massacrer tous les huguenots français et fit afficher un panneau à l'entrée du village ainsi rayé : "Je ne fais pas cela contre les Français mais contre les hérétiques". Cette ultime précision sémantique, quelques 450 ans plus tard, montre que la barbarie n'était pas seulement physique. Kenneth Davis déplore que cet épisode de l'histoire américaine n'apparaisse dans aucun livre d'histoire et suggère que l'on remplace la dinde par un coq au vin arrosé de bordeaux. Voilà un épisode que pourra méditer l'actuel président de la République qui est allé se prosterner devant George Bush, en louant le débarquement américain du 6 juin 1944, ce que personne ne niera et n'oubliera. Mais, avant cela, si les troupes françaises de Lafayette n'avaient pas apporté un sérieux coup de main à la bataille de Gettysburg en 1863, le nouveau monde serait toujours une colonie britannique.
Post-scriptum : Sans la vigilance de Maguy Day, que je remercie chaleureusement, ce pittoresque article aurait échappé à mon scan quotidien de la presse de langue anglaise.