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Billet de blog 27 décembre 2010

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Cleggzilla nouveau monstre de Sheffield ?

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Entre Sheffield, la ville des métallurgistes au chômage, décor du célèbre The Full Monty, bastion du snooker, base traditionnelle de la gauche travailliste, et Nick Clegg, étonnante girouette Lib Dem et actuel vice-premier ministre du gouvernement de coalition à majorité conservatrice, c'en est bien fini. C'est ce que révèle l'analyse de David Goodhart dans le numéro de janvier de l'excellent magazine mensuel britannique Prospect, qui mériterait d'être plus connu sur le continent en raison de la qualité de ses articles. Et c'est ce que montre également cette affiche qui fleurit dans les rues de Sheffield (crédit photographique Getty Images) et qui assimile Clegg à Godzilla, monstre urbain de bd japonaise des années 1950, adapté en blockbuster par Hollywood dans les années 1980 : Cleggzilla bringing havoc to a city near you! Cleggzilla qui fait des ravages dans une ville près de chez vous.

Pourtant tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, le chef de file Lib Dem avait été d'une rare virulence lors des débats télévisés du mois d'avril (voir l'édition Elections britanniques) aussi bien avec David Cameron qu'à l'égard de Gordon Brown. Ce dernier s'était d'ailleurs accroché désespérément à une phrase désormais culte : I agree with Nick, symbole d'une défaite annoncée, dans le sillage de ce que Nixon avait tenté, pour éviter le naufrage dans le débat télévisé de 1960 face à John Kennedy : I agree with Senator Kennedy. Mais le leader conservateur en avait eu largement pour son compte et les électeurs de la circonscription de Hallam, à Sheffield, bons princes l'avaient réélu après l'avoir élu une première fois en 2005, alors qu'il était pratiquement inconnu dans une terre essentiellement travailliste, puisque le Labour détient cinq des six circonscriptions de Sheffield.

Mais cette intrusion s'explique puisque Sheffield est passée d'une domination de l'aile modérée du Labour, en la personne de David Blunkett, ex-ministre de l'intérieur du premier gouvernement Blair, à celle de Clegg. Sheffield illustre la reconversion post-industrielle réussie d'une grande ville - environ 600.000 habitants, dont1/5 sont des étudiants. Depuis le 19ème siècle et jusque dans les années 1970, c'était la métallurgie et la construction mécanique de pointe. Et Sheffield était devenue le bastion de l'aristocratie travailliste sans avoir jamais été vraiment une ville militante. Les douloureuses fermetures de mines proches et d'aciéries se sont faites dans une sorte de consensus, avec un transfert vers le secteur public, qui représente un bon tiers du total des emplois. Dans ce contexte Sheffield était devenue à la fois le jardin et la vitrine de Nick Clegg et des Lib Dems qui détiennent la majorité du conseil municipal. Mais voilà bien une situation qui, lors des prochaines élections municipales de mai 2011, pourrait appartenir à un passé révolu.

En effet, après le très surprenant virage à 180° de Clegg, à l'issue des élections législatives de mai 2010, le mot d'ordre est désormais Sheffield against Clegg, qui surgissent non seulement sur les murs de la ville, mais aussi sur les calicots de manifestations avec de beaucoup moins élegants Fuck Clegg et des Cleggzillas sur quelques fourgonnettes qui sillonnent l'agglomération. Nick Clegg, en s'associant avec un gouvernement conservateur encore plus réactionnaire que ceux de Margaret Thatcher et John Major, a non seulement anéanti sa propre image, mais a également sérieusement obéré son propre parti, tout en désespérant les militants de base Lib Dems. La méfiance à l'égard de Nick Clegg s'est transformée en une réelle aversion, d'autant qu'à son choix politique inattendu du printemps se sont ajoutées deux autres trahisons monumentales.

Tout le monde connaît la première, à savoir son ralliement à la considérable augmentation des tuition fees, les frais d'inscription à l'université, contraire à tous ses propos de la campagne électorale, et à la suppression de l'EMA, education maintenance allowance, allocation supplémentaire qui était destinée aux étudiants issus de milieux défavorisés. La deuxième est moins connue sur le continent : le gouvernement travailliste de Brown s'était engagé à prêter 80 millions de livres sterling aux Forges de Sheffield, durement touchée par la crise, pour permettre une reconversion vers d'autres activités industrielles, notamment la fabrication de matériel pour les centrales nucléaires. Le cabinet de Cameron a purement et simplement annulé ce prêt, et le si sympathique Nick Clegg du mois de mai a laissé la place à un vice-premier ministre qui n'a pas bougé le petit doigt en se montrant totalement indifférent au sort de la ville de Sheffield. Dire que Clegg est une énorme déception est un euphémisme, fort bien résumé par une romancière d'origine ukrainienne, installée à Sheffield depuis vingt-cinq ans, Marina Lewicka, admiratrice de Clegg il y a peu : I'm not usually a hating sort of person, but I am disappointed with him. He's so mesmerized by power that he's surrendered on virtually every policy the Lib Dems once held, ce qui signifie ‘Je ne suis pas le genre de personne à céder d'ordinaire à la haine, mais il m'a déçue. Il est tellement fasciné par le pouvoir qu'il a rendu les armes sur pratiquement tous les thèmes pour lesquels les Lib Dems s'étaient battus.

Ce type de trahison est beaucoup plus choquant pour les britanniques, en particulier pour la base Lib Dem, alors qu'elle fait malheureusement partie du paysage politique français. Ceux qui ont été pompeusement nommés depuis 2007, de ce côté-ci de la Manche « des transfuges de la gauche », n'ont jamais représentés qu'eux-mêmes, mais jamais des idées et encore moins un programme. Nick Clegg ne fait que perpétuer une tradition désormais longue, mise en place par l'ancêtre des Lib Dems, The Liberal Party, qui, entre 1976 et 1979, avait penché à gauche, cette fois, du côté du premier travailliste James Callaghan. Ce Lib-Lab Pact avait engendré le Winter of Discontent, par référence à la tragédie de Shakespeare Richard III, qui commence par ces vers d'une implacable vérité pour Clegg :

Now is the winter of our discontent

Made glorious summer by this son of York (Act 1, scene 1)

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