
Pete Seeger est mort lundi 27 janvier à l’hôpital presbytérien de New York. Il vivait à Beacon, une petite ville au bord de l’Hudson, à cent kilomètres au nord de New York. Son nom n’évoquera peut-être rien aux plus jeunes générations, mais Seeger était un monument de la musique américaine et un symbole de la lutte militante. Chanteur dans le registre de ce que l’on appelle communément la folk music, Pete Seeger commença sa carrière, dans les années 1940, en se produisant dans des congrès syndicaux, des universités, des festivals, des concerts et des petites fêtes locales.
Son aura engendra un succès presque immédiat, par le bouche-à-oreille, et sa guitare à douze cordes et son banjo devinrent rapidement très familiers à travers les Etats-Unis. Son groupe The Weavers fit renaître la musique traditionnelle et commença à perturber sérieusement le pouvoir. Dès le début de sa carrière musicale, son engagement politique fut total. Il était membre du parti communiste, ce dont il ne cacha jamais et qui n’entama jamais sa popularité, ce qui est un véritable tour de force quand on sait ce que l’Amérique profonde peut développer d’anticommunisme primaire. Dans les années 1950 il fut inscrit sur la liste noire de la sinistre et tristement célèbre commission du sénateur McCarthy.
A l’été 1951, le FBI et la commission des activités anti-américaines le firent interdire de télévision, interdiction qui dura plus de dix ans. Convoqué par cette même commission au Congrès, Pete Seeger, nullement impressionné, déclara : I am not going to answer any questions as to my association, my philosophical or religious beliefs or my political beliefs, or how I voted in any election, or any of these private affairs. I think these are very improper questions for any American to be asked, especially under such compulsion as this. Ce qui signifie : Je ne vais répondre à aucune des questions sur mes activités associatives, mes choix politiques, religieux ou philosophiques ou vous dire comment j’ai voté ou répondre à quelque autre question sur ma vie privée. Je pense que, pour n’importe quel Américain, ces questions sont impropres surtout dans de telles conditions.
Avec un cran louable et une ironie mordante, Seeger informa les membres de la commission qu’il n’avait plus l’intention de parler, mais qu’il voulait bien leur chanter une chanson, ce qui déclencha l’hilarité générale. Mais la commission n’avait aucun penchant pour l’humour. En 1957, dix chefs d’inculpation furent retenus contre lui et, en 1961, il fut condamné à un an de prison, sentence jamais appliquée parce qu’elle fut annulée dans les mois suivants pour vice de forme. Légende vivante, Pete Seeger s’est associé, à la fin des années 1950 à Woody Guthrie et suscita non seulement l’engouement d’un large public, mais aussi la carrière de bon nombre de chanteurs et de groupes tels que Peter, Paul and Mary, Joan Baez et Bob Dylan.
Avec ce dernier les relations furent orageuses et arrivèrent à un point de non-retour, lors d’un concert à Newport, en 1965, où tout le monde était à la guitare sèche et Bob Dylan arriva avec une guitare électrique, dont Pete Seeger menaça de couper l’alimentation à la hache. Il refusa, avec la même vigueur, un prolongement de contrat avec Columbia qui avait, dans le même temps, conçu un film publicitaire pour un géant du tabac américain. Pete Seeger fut de tous les combats, antifascistes pendant la seconde guerre mondiale, anti impérialistes pendant la guerre du Viet Nam, et ses chansons et ses interprétations appartiennent depuis longtemps à la mémoire américaine. Pendant les années 1960 et les nombreuses manifestations contre la ségrégation, il a popularisé We shall overcome.
Il y eut auparavant, parmi les titres qui ont assuré sa célébrité, Goodnight, Irene, If I had a hammer, et surtout Where have all the flowers gone?, sans oublier son apparition, en compagnie de Bruce Springsteen, lors de la cérémonie d’investiture d’Obama en 2009. Un troubadour militant qui n’a jamais renié ses convictions politiques ni son amour de la musique. Le NYT lui a rendu une superbe hommage, alors que le Guardian a fait le strict minimum.