Feue Margaret Thatcher, que François Mitterrand avait surnommée le rhinocéros en raison de son entêtement permanent et systématique lors des réunions européennes, revient à la mode et serait même le modèle et la référence du candidat de la droite française à la prochaine élection présidentielle de 2017, François Fillon. Voilà une référence qui pose de sérieux problèmes, car dans l’histoire politique contemporaine, et, en particulier, dans celle du Royaume-Uni, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver quelqu’un de plus clivant et de plus méprisant pour quiconque tentait de s’opposer à ses idées. Pour mémoire Margaret Thatcher est le seul premier ministre d’après-guerre à qui fut refusé le titre honorifique de docteur honoris causa de l’université d’Oxford (traditionnellement accordé à tout nouveau premier ministre entrant en fonction), après un vote écrasant de son assemblée par 738 voix contre et 319 voix pour.
Des débuts révélateurs
Avant de devenir la première femme premier ministre en 1979, Margaret Thatcher fut ministre de l’éducation de Ted Heath, de 1970 à 1974, période pendant laquelle elle donna un aperçu très complet de ce que serait la future chef de gouvernement, puisque l’essentiel de son action consista à faire des coupes sombres dans le budget dévolu aux LEA (Local Educational Authorities) et à tenter de supprimer les Grammar Schools (ce que Heath refusa) au seul profit des Comprehensive Schools. Elle fut surnommée The Milk Snatcher (la voleuse de lait) car sa décision la plus spectaculaire fut de supprimer la distribution bi-hebdomadaire gratuite de lait aux élèves de sept à onze ans, ce qui était pour les enfants issus de la classe ouvrière un apport alimentaire important et n’était pas un fardeau financier pour le royaume. L’indignation fut générale et, selon le Guardian, Thatcher en fut contrariée au point d’envisager de quitter la politique, ce qui donne à regretter que la réaction à son projet ne fût pas plus ferme et longue.
Style, personnalité et comportement
S’il est indéniable que son arrivée à la tête des Tories d’abord, en 1975, puis à celle du pays, en 1979, fut largement facilitée d’une part par l’usure de l’aura de Ted Heath au sein du parti conservateur, d’autre part par la décomposition active des travaillistes au pouvoir sous la direction du navrant James Callaghan, il est évident de constater que la lune de miel avec l’électorat britannique ne dura pas et la personnalité particulièrement cassante de Margaret Thatcher, sans oublier sa voix jugée insupportable y fut pour beaucoup. D’après John Campbell, auteur de plusieurs biographies d’élus britanniques, elle indisposait jusqu’à la reine qui ne supportait pas son ton doctoral, lors de leurs rendez-vous hebdomadaires, et sa propension à considérer que le souverain c’était elle. Dogmatique et convaincue de détenir la vérité en toutes circonstances, elle a laissé à la postérité une réplique qui donna lieu à une adaptation théâtrale, The lady is not for turning (réponse faite à ses conseillers qui l’invitaient à infléchir certains choix) et un tristement célèbre acronyme , TINA (There is no alternative).
Ses options économiques
Monétariste acharnée Margaret Thatcher était surtout acquise à la cause de Milton Friedman, ce qui la conduisit naturellement à baisser les impôts directs sur le revenu, favorisant ainsi les plus aisés, et à élever le niveau des impôts indirects, mesure qui frappe généralement les classes moyennes et défavorisées et engendre l’inégalité. Elle mit en œuvre ce qu’elle avait esquissé en tant que ministre de l’éducation, c’est-à-dire des coupes budgétaires massives non seulement aux dépens du système éducatif mais aussi des services sociaux. Elle a notamment commencé la démolition du Welfare State, créé après la guerre et gage de solidarité et d’entraide, et plus particulièrement du service de santé, travail que ses successeurs ont prolongé, y compris Tony Blair (lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Keith Dixon, Un digne héritier, éditions Raisons d’Agir, 2000, Paris). Le miracle n’a pas eu lieu puisqu’en 1980 le royaume était en pleine récession, elle décida donc d’augmenter les impôts, malgré la vigoureuse protestation de 364 économistes en mars 1981. Son opposition farouche à une monnaie commune européenne agaça un de ses plus fidèles soutiens, Geoffrey Howe, qui claqua la porte dans un mémorable discours de démission à la chambre des communes en 1983. Si l’on ajoute à ce tableau déjà lugubre l’incroyable projet de remplacement de la taxe d’habitation, fondée sur la valeur locative d’un logement, lors de son dernier mandat, par la moyenâgeuse Poll Tax, qui devait imposer chaque adulte occupant, on aura une idée plus complète de l’entêtement dévastateur du rhinocéros. Les émeutes qui se déroulèrent en 1982, et qui prolongeaient celles de 1981, ajoutées aux futures manifestations des mineurs opposés à la fermeture de leurs mines, auraient dû, en toute logique, avoir pour conséquence de renvoyer Thatcher, qui était au plus bas dans les sondages, définitivement dans sa ville natale de Grantham, d'autant que le chômage avait déjà atteint trois millions de Britanniques. Mais, comme chacun sait, elle trouva un prétexte fallacieux pour flatter le nationalisme de ses concitoyens, avec l’aide précieuse de son sinistre ami Rupert Murdoch (déjà !) et de sa presse tabloïde, en allant disputer, à la junte argentine, la propriété d’un minuscule archipel presque oublié dans l’Atlantique Sud, The Falklands. Cet épisode néo-colonialiste lui valut une ré-élection confortable alors qu’elle était politiquement moribonde.
Les privatisations au profit de ses riches amis
Les choix industriels de Margaret Thatcher peuvent se résumer en un seul mot, la braderie. Elle a bradé aux investisseurs japonais puis allemands l’industrie automobile, florissante dans les années 1960, avec notamment la célèbre BLMC, British Leyland Motor Corporation, qui avait besoin de rénovation et non pas d’exécution. Elle a privatisé les services de l’eau, du gaz et de l’électricité, qui, sous monopole d’état, fonctionnaient bien et leur privatisation a été un authentique désastre. Elle se déclara tout d’abord hostile à la privatisation des chemins de fer avant de l’accepter à la fin de son dernier mandat pour laisser son successeur, John Major, la mettre en place avec les résultats catastrophiques que l’on sait (voir le remarquable film The Navigators du magistral Ken Loach). Elle a introduit la dérégulation des marchés financiers et entretenu le mirage de l’indépendance énergétique grâce au pétrole de la mer du Nord, en passant sous silence la gestion conjointe. Elle a détruit les syndicats et la vie syndicale au-delà de toute espérance pour les chefs d’entreprise. Si l’on peut mettre à son crédit le fait qu’elle a laissé le parlement voter l’Environnemental Protection Act avant d’être congédiée en 1990, son scepticisme sur le changement climatique était légendaire.
L’Irlande du Nord et la politique étrangère
Son intransigeance à l’égard des nationalistes irlandais faillit lui coûter la vie dans un attentat perpétré par l’IRA à Brighton en 1984. Elle avait laissé, trois ans plus tôt, Bobby Sands mourir d’une grève de la faim qu’il avait entamée pour protester contre ses conditions de détention. Sa mort ne lui tira pas une larme, contrairement aux aventures de son fils Mark, égaré momentanément dans le désert au cours d’un Paris-Dakar en 1982, avant qu'il ne s’acoquine avec des dictateurs aux quatre coins de la planète (son nom a été récemment cité dans les Panama Papers). Par ailleurs si elle a fait la guerre à la junte argentine, le dictateur chilien, Augusto Pinochet, était son ami et, auparavant, sa complaisance à l’égard du régime d’apartheid d’Afrique du Sud est encore dans toutes les mémoires. Elle a aussi soutenu toutes les initiatives belliqueuses de son ami Ronald Reagan et l’histoire lui reconnaîtra son soutien apporté à la glasnost de Gorbatchev, soutien ambigu et éphémère qui contrastait avec sa volonté de maintenir le monde dans une nouvelle guerre froide.
Donc entendre le candidat de la droite française prendre un tel modèle est à la fois extrêmement révélateur de ses intentions et tout à fait surprenant, pour ne pas dire inquiétant. Il y aurait donc des rhinocéros dans la Sarthe…