Lorsqu’en septembre 2010 Ed Miliband a soufflé, contre toute attente, la direction du parti travailliste à son frère aîné David, grâce à des reports de voix de troisième tour inattendus, la plupart des commentateurs politiques britanniques étaient soit circonspects dans le meilleur des cas, soit totalement pessimistes dans le pire des cas. A l’aube de l’année 2012, soit deux ans et demi après son élection en forme de hold-up, le mot qui domine est vraisemblablement déception. Ed Miliband n’a toujours pas apporté la preuve qu’il est un chef incontesté du Labour. Par ailleurs rien ne permet d’affirmer non plus qu’il est un idéologue aguerri qui va faire progresser son parti.
Pire même, il rappelle fâcheusement aux militants travaillistes britanniques deux périodes plutôt grises de leur parti. Il y eut, tout d’abord, celle de Michael Foot (1913-2010) qui prit, un peu par défaut de candidat charismatique, les rênes du parti travailliste de 1980 à 1982. Foot, comme son nom ne l’indique pas, était un esprit brillant, diplômé d’Oxford en philosophie, politique et économie. La passion de cette intelligence hors du commun était l’idéologie, la routine des jeux politiques de Westminster ne l’enthousiasmait guère. De plus il devint leader à 67 ans dans un Royaume-Uni totalement sous le joug de la sinistre Margaret Thatcher et le parti travailliste se délita sous les coups de boutoir des « centristes » du Labour qui créèrent bientôt le SDP, Social Democratic Party, ancêtre des Lib-Dems.
Il y eut ensuite celle de Neil Kinnock, qui assura la succession de Michael Foot de 1983 à 1992. Fils de mineur gallois, Neil Kinnock est lui aussi diplômé de l’Université, mais du South Wales University College, une red-brick university, pas vraiment la même catégorie que Foot, puisque celle de Kinnock n’a rien d’ancestral et fut créée après la seconde guerre mondiale. Foot était un idéologue, pas un leader, Neil Kinnock ne fut ni l’un ni l’autre. Il s’est ensuite découvert une vocation européenne en devenant, de 1995 à 2004, commissaire d’une Union Européenne qu’il avait toujours combattue. Il est, depuis 2005, membre de la Chambre des Lords, sous le titre pompeux de baron de Bedwelthy, lui qui, en tant que député, avait refusé d’assister au traditionnel discours de la reine à la chambre des Lords, en 1977, contrairement à ses collègues travaillistes. Ce qui prouve que l’amnésie est un atout politique considérable.
Voilà donc à qui Ed Miliband est désormais comparé, d’autant qu’un très cruel sondage de ICM commandé par le Guardian, en date du 26 décembre, montre que l’actuel premier ministre, David Cameron, rassemble 48% d’opinions favorables contre 43% de mécontents. Au vu de la gouvernance de Cameron ces chiffres peuvent paraître extravagants, mais il ne faut pas oublier que le premier ministre a su, dernièrement, jouer de l’anti-européanisme ambiant et naturel au Royaume-Uni, pour se refaire une santé. Néanmoins, paradoxe de ce sondage 47% des sondés ne sont pas satisfaits du travail que fait la coalition Tory/Lib-Dems. Il y a plus surprenant dans ce sondage, puisque Nick Clegg, redoutable concurrent de tous les contorsionnistes de la planète, arrive en deuxième position avec 19%, et, plus grave, Ed Miliband n’est que troisième avec 17% d’opinions favorables.
Outre les légitimes questions que l’on peut se poser sur la fiabilité d’un tel sondage, force est de constater que, pour ce qui concerne le plus jeune des Milibands, ce n’est que justice. Il n’intervient pratiquement jamais ou si peu. Depuis le début de la crise économique, que ce soit dans les media ou à la chambre des Communes le leader travailliste a été pour le moins mesuré et peu prolixe. Pire, sur les émeutes de l’été dernier, le plus virulent et le plus crédible a été l’archevêque de Canterbury, Rowan Williams, qui a provoqué un grand émoi dans l’establishment, en déclarant qu’il ne faisait aucune différence entre les émeutiers qui ont brûlé maisons et voitures et les financiers qui pillent le pays. Nul n’a entendu Ed Miliband de façon aussi nette. Il reste à espérer, à l’aube de cette année 2012, qu’il n’y ait aucune similitude entre le parti travailliste et le parti socialiste français.