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Lisbeth Zornig Andersen est danoise, elle a quarante-huit ans, mais surtout elle n’est pas amnésique, car elle connaît la valeur de la solidarité, qui lui a permis de survivre. Née en 1968 dans une maison délabrée, sans eau chaude et avec des toilettes au fond du jardin, au cœur de la campagne danoise, Liz et ses trois frères ne mangeaient pas tous les jours. Une mère et un beau-père sans emploi et alcooliques, une vie quotidienne de violences et sans horizon, ballottée de familles d’accueil en institutions. Deux de ses frères ont basculé dans la criminalité et en sont morts, le troisième, atteint du sida, va probablement les rejoindre. Liz, elle, a eu plus de chance, grâce à la confiance, aux encouragements et à la solidarité insufflés par une de ses enseignantes, qu’elle nomme simplement et pudiquement Karen, elle a pu entreprendre des études supérieures et devenir diplômée en économie de l’université de Copenhague.
Fort de cette formation et de ce bagage, Lisbeth a immédiatement décroché un emploi dans la principale banque danoise, la Danske Bank. Mais Lisbeth sait d’où elle vient et n’a pas oublié ce qu’elle a vécu et n’a pas oublié non plus ce qu’elle doit à la solidarité des autres. Donc, une fois installée dans la vie professionnelle et la vie tout court, elle se tourne tout naturellement et spontanément vers celles et ceux qui sont en difficulté, et avec celui qui va devenir son mari, Mikael Rauno Lindholm, elle crée une association The House of Zornig pour venir en aide aux familles et aux enfants en difficulté. Son travail est remarqué, elle devient une figure nationale et le gouvernement danois lui confie bientôt la présidence du National Council for Children. Elle sillonne le petit royaume, donne des conférences un peu partout, écrit un livre My Childhood in Hell (Mon enfance en enfer), dont sera tiré un documentaire pour la télévision danoise. Elle éveille l’intérêt et la solidarité de ses concitoyens et suscite la création d’associations.
Or le lundi 7 septembre 2015, Lisbeth vient de terminer une conférence à Rødyhavn, petit port du sud du Danemark et terminus du ferry qui vient du port allemand de Puttgarten, et elle passe par hasard devant le débarcadère et ce qu’elle voit la pétrifie. Le chaos total, des familles entières de réfugiés syriens par centaines. Elle se met dans l’idée d’aider, de faire quelque chose au milieu de toute cette détresse. Elle repère un groupe de six enfants, dont deux jumelles de cinq ans, guidés par l’aîné Yunès, étudiant en pharmacie à l’université de Damas. Ils n’ont que leur habits pour seule fortune, sont épuisés et veulent rejoindre Copenhague, à 160 kms au nord, traverser jusqu’à Malmoe en Suède et rejoindre enfin Helsingborg où se trouvent déjà le père et un autre frère. Elle décide de prendre tout ce petit monde à bord de sa grande voiture et prend la précaution de demander à un policier danois tout proche de son véhicule si cela pose un problème. Aucun, répond le policier qui l’encourage sous l’objectif d’une équipe de la télévision qui filme la scène.
Lisbeth et son mari ont une maison dans la banlieue sud de Copenhague. Elle lui téléphone et pendant qu’elle emmène le petit groupe à son bord, Mikael prépare une solide collation pour les six réfugiés. Les fillettes épuisées s’endorment aussitôt et une fois les 160 kms parcourus, Lisbeth et son mari proposent à ce groupe de passer la nuit chez eux. Mais les jeunes réfugiés sont pressés de retrouver leur père en Suède. Mikael les emmène donc jusqu’à la gare danoise qui se trouve juste en face de Helsingborg, leur achète des billets de train et prend congé. Quelques heures plus tard un appel téléphonique du père, fou de joie, leur apprend que tout le groupe est arrivé en Suède. Mikael et Lisbeth veulent renouveler leur geste pour aider tous les réfugiés qui n’ont d’autre solution que de marcher jusqu’à Copenhague, mais se rendent compte qu’en raison du nombre élevé de réfugiés leur décision serait une goutte dans un océan. Ils décident alors de raconter cette expérience (relatée pour la première fois sur le site de l’excellent éditeur Granta puis dans le quotidien britannique The Guardian) sur leur page Facebook pour appeler leurs compatriotes à l’aide. Le résultat est immédiat et la réaction de solidarité fulgurante. Plus de trois cent mille personnes partagent leur page et même un ancien ministre se manifeste pour véhiculer des réfugiés. Certains proposent leur bateau pour emmener les Syriens en Suède, d’autres, notamment des autocaristes, affrètent des véhicules, bref l’élan de solidarité est immense et magnifique. Mais le lundi suivant, le 14 septembre donc, la police danoise casse l’ambiance en informant la population danoise qu’aider les réfugiés est illégal.
Le mois suivant, Lisbeth et Mikael, sont convoqués au commissariat central de Copenhague où on les informe qu’ils sont accusés d’avoir pris en charge illégalement des réfugiés syriens qui n’avaient ni passeport ni visa. Interloqués Lisbeth et Mikael rétorquent que lorsque l’on vient en aide à des êtres humains dans le malheur on ne leur demande pas leurs papiers. Pour l’heure les choses en restent là et, en cette fin d’année 2015, Lisbeth et Mikael rejoignent la famille syrienne à Helsingborg pour une soirée et un délicieux repas syrien avant Noël et constatent avec joie que tout va bien et que l’apprentissage de la langue est en bonne voie. Mais le 11 mars 2016, Lisbeth et Mikael sont convoqués, à leur grande surprise, au palais de justice de Copenhague devant lequel ils sont accusés d’être des passeurs. Le policier dont Lisbeth avait sollicité l’opinion, presque l’autorisation, et qu’elle a cité comme témoin, n’a curieusement aucun souvenir de la conversation à Rødyhavn. Le procureur demande une peine de 14 jours de prison et une amende de 45.000 couronnes , soit environ 4.500 €. Pour mémoire, dans la même période un danois qui avait craché sur des réfugiés depuis son véhicule a été, lui, condamné à payer 5.000 couronnes d’amende, soit 450 €.
Lisbeth et Mikael ont fait appel de leur condamnation et un élan de générosité et de solidarité lancé sur les réseaux sociaux par un musicien de jazz, Benjamin Koppel, a permis de réunir 160.000 couronnes (18.000 €), soit trois fois le montant de l’amende. Lisbeth et Mikael ont donné le surplus aux associations qui aident les réfugiés. Le 21 septembre 2016 la Haute Cour de justice danoise a confirmé la condamnation et donné à entendre haut et fort, par là-même, qu’inviter des réfugiés épuisés et affamés à monter à bord de son véhicule, leur offrir à boire et à manger serait un délit ! La classe politique danoise a essentiellement brillé par son silence pesant et éloquent. Quant à l’Eglise Protestante Danoise qui, comme le rappelle avec humour Lisbeth, enseigne quotidiennement la parabole du bon samaritain, elle n’a toujours pas réagi…
Pour manifester la solidarité qui s’impose à ce couple courageux, l’adresse du compte Twitter ou Facebook de Lisbeth :
@LisbethZornig
