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Billet de blog 30 janvier 2011

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Monet, enfin !

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Si le fait d’habiter la province a de nombreux avantages, notamment la qualité de vie, le faible temps passé dans les transports, la proximité de la nature, surtout dans une ville moyenne, il faut bien reconnaître qu’en province on est loin de tout, et plus particulièrement de tout ce qui peut se passer dans la vie culturelle et artistique, exception faite, bien évidemment de celles et ceux qui ont la chance d’habiter près de la frontière avec nos amis helvètes, qui ont, avec la Fondation de l’Hermitage à Lausanne et la Fondation Gianadda à Martigny, deux lieux exceptionnels. Ainsi quand les grandes expositions surgissent à l’horizon parisien, la culture étant devenue un produit de consommation, il faut en être ! Et, en plus, quand il s’agit de Monet, la soumission à l’air du temps est une peine très légère.

Donc, en cette fin d’automne 2010, après un slalom serré sur le site fort peu logique et moins que convivial de fnac-spectacles et une réservation laborieuse, le provincial et sa meilleure moitié, comme le prétendent les Grands-Bretons, se présentent enfin, mais en avance, devant l’entrée du Grand Palais, en une fin d’après-midi glaciale. Il est environ 17h45. Première bizarrerie qui rapproche de ce qu’a dû être le fonctionnement de l’ex-URSS : une file d’attente s’est formée, mais c’est celle de 18h. Pour la file d’attente de 18h30, il faut revenir après 18h. Une fois soumis à cette règle imposée par une armoire-à-glace qui, en dehors du Grand Palais, doit être videur de boîte de nuit, on revient après 18h pour s’entendre dire que là, c’est la file de 19h et qu’il faut se mettre à droite et non pas à gauche. Finalement l’armoire-à-glace a dû travailler, incognito, pour Devos.

Une fois installée solidement dans une file d’attente telle qu’on n’en a pas connu depuis les trois jours préalables au service militaire – enfin le provincial, pas sa meilleure moitié – et après avoir gentement devisé avec d’autres couples de province pour conclure que vraiment ces parisiens ils sont bizarres pour supporter des trucs comme ça, on finit par accéder à l’intérieur du Grand Palais – il était temps, il fait de plus en plus froid – et à l’accès au vestiaire. Et là, nouvelle étrangeté. Il convient de dire que le provincial est imprévisible et qu’il a eu l’idée, apparemment saugrenue, de faire un achat volumineux dans un de ses magasins favoris, juste avant d’arriver au Grand Palais. Mais le cerbère qui tient le vestiaire dit qu’elle ne veut pas de ce paquet rectangulaire. Le refus n’est même pas motivé ou expliqué poliment, adverbe inconnu pour l’interlocutrice du jour, non, on est au niveau du puéril mais désagréable « pas envie ! ».

Donc il va falloir envisager toute l’expo avec le paquet sous le bras. Certes il y a pire, mais il y a moins grotesque aussi. Si le hall est assez clairsemé et presque rassurant, la première salle de l’exposition donne le ton : on a pris le métro, et, de toute évidence, pas n’importe quelle ligne, la 9 aux heures de pointe. Il faut monter dans la rame, à contrecœur, et attendre son tour pour pouvoir, non pas admirer, mais arriver au niveau du premier tableau. Dans la file, il y a un petit monsieur qui ressemble à s’y méprendre au français moyen des dessins de Wolinski qui affirme « moi, monsieur, je ne fais pas de politique ! ». Il regarde le paquet du provincial avec un mélange de condescendance et d’inquiétude, puis tourne la tête brusquement. Plus loin dans la file, il y a Madame Jemelapète, du clan Bottox, qui semble avoir tellement abusé de l’usage intensif du ravalement de façade que l’on se prend à espérer qu’elle ne baisse pas les paupières, en raison des dégâts collatéraux que cela pourrait déclencher. Elle tonitrue, semble fatiguer toute la rame et lance devant le premier tableau : « Celui-là je l’ai vu en Australie. »

Vous l’aurez compris, ce qui était important dans cette phrase, ce n’était pas le pronom personnel élidé « l’ », ce n’était pas non plus le verbe, non c’était le pronom personnel sujet, « je », qui semble majeur en l’occurrence, surtout dans sa relation avec le complément de lieu « en Australie ». En fait si notre insupportable bavarde écoutait Philippe Meyer sur France-Culture et France-Inter, elle aurait pu faire sienne sa célèbre phrase : « Ce n’est pas pour me vanter, mais je suis allé en Australie. » Lassés, nous quittons la rame pour entreprendre une visite aléatoire et moins grégaire. Ce choix nous attire des regards désapprobateurs, d’autant que le paquet est toujours sous le bras. Non seulement indisciplinés mais suspects en plus ! En cours de visite, arrêt prolongé devant le brouillard londonien peint par Monet. Un jeune père tente de convaincre, d’une manière étonnante, son jeune fils déconcerté : « Tu vois, c’est Londres, on y est allé cet été. » Plus loin, un respectable grand-père, qui ressemble à l’oncle Paul des célèbres Histoires publiées dans Spirou, se lance dans des explications techniques qui semblent laisser son petit-fils de marbre. Il est donc grand temps de reprendre la visite aléatoire.

Malgré les désagréments de cette insupportable transhumance, il faut le dire et le redire, cette exposition était magnifique. Certes moins calme et reposante que l’exposition permanente de Giverny – oui, ce n’est pas pour se vanter, mais le provincial est allé à Giverny – où l’on ne voit guère que quelques touristes américains, sans bousculade. Mais la force de cette initiative est d’avoir rassemblé des scènes évolutives d’un même paysage sur des tableaux éparpillés aux quatre coins du monde. Le résultat est extraordinaire. Et puis, dans une grande expo, il y a toujours matière à coup de cœur pour un tableau inconnu ou peu connu. En l’occurrence, ce fut Train dans la campagne. En fermant les yeux on jurerait d’entendre le bruit du train à l’horizon, on imagine, dans ce paysage d’un superbe vert tendre, entendre le vent souffler dans les feuilles, comme dans le chef d’œuvre cinématographique de Michelangelo Antonioni, Blow Up, où le héros, Thomas, interprété par le regretté David Hemmings, traverse un parc et la seule musique de fond est le vent dans le feuillage. Même impression ici avec Train dans la campagne, et la superbe jeune femme au premier plan semble parler aimablement (pas du tout le genre à dire : t’as vu le provincial, là-bas, avec son paquet sous le bras ?). C’est non seulement beau mais c’est tout simplement naturel et vrai.

Si cette exposition a été un enchantement, on peut, néanmoins, exprimer un tout petit regret, qui, espérons-le, ne choquera pas les spécialistes. Monet est, certes le peintre de la lumière, mais c’est la lumière de la campagne, de l’Atlantique, de la Manche qu’il capte, qu’il absorbe. Sa période méditerranéenne est beaucoup moins convaincante. La Méditerranée ce n’est pas sa lumière à Monet et on ne le retrouve pas vraiment dans ces tableaux-là. D’autres que lui, comme le pointilliste Signac la rendent beaucoup mieux, mais c’est vraiment un détail, comme un paquet sous le bras…

* lire aussi l'article de Michel Boujut : www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/michel-boujut/170111/monet-monet

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