Il était pratiquement inconnu de ce côté-ci de l'Atlantique, mais, aux Etats-Unis il était considéré comme une figure et une référence. Journaliste respecté, Daniel Schorr est mort le 23 juillet à New York, sa ville natale, à l'âge de 93 ans. Son inlassable quête de la vérité avait fait de lui un exemple pour celles et ceux qui avaient choisi le journalisme pour métier. Dans le coast-to-coast CBS Evening News de Katie Couric, le 24 juillet, son collègue et ami, Bob Schieffer, un des doyens désormais de CBS, lui a rendu hommage en ces termes : He never gave up a question till he had his answer, ce qui signifie : il répétait inlassablement sa question jusqu'à ce qu'il obtienne une réponse.
Daniel Schorr travaillait pour NPR, National Public Radio, depuis 25 ans, où il analysait l'actualité, dans une émission largement suivie et attendue, Weekend Edition. Mais c'est à CBS, d'abord à la radio puis à la télévision, qu'il se rendit célèbre dans la profession. Il fut un pionnier puisqu'il ouvrit le premier bureau de CBS à Moscou en1955, où il était le correspondant de la radio américaine. Il obtint la même année le premier entretien radiodiffusé avec le premier secrétaire du parti communiste de l'ex-URSS, Nikita Kruschchev. Le pouvoir soviétique s'imagina ainsi en avoir fait un allié, mais Schorr ne cessa de dénoncer, dans ses chroniques, la censure et les atteintes à la liberté. Et donc, en 1957, à son retour de vacances passées aux Etats-Unis, il se vit interdire définitivement l'entrée sur le territoire de l'ex-URSS.
Mais c'est pendant les années Nixon, et plus particulièrement au cours de l'enquête journalistique sur l'affaire du Watergate que Daniel Schorr montra son indépendance, son sens du journalisme et son courage. Ayant mis la main sur la Enemies List de Nixon, il la lut, à l'antenne, en direct sur CBS , en 1971, en la brandissant devant la caméra et en découvrant abassourdi qu'il figurait sur cette liste en 17ème position : Would you believe it? Here I can read Schorr Daniel, public enemy! Dans un entretien donné en 2009, Daniel Schorr affirmait : I consider my presence on the enemies list a greater tribute than the Emmys list, Je considère que ma présence sur cette liste était un plus grand honneur que sur celle des Emmy Awards.
Daniel Schorr était une figure à CBS et avait le soutien du directeur, Edward Murrow, depuis ses débuts en 1953, mais, en 1976, cette belle entente prit fin brutalement. Schorr découvrit un rapport de la Chambre des Représentants qui n'avait jamais été publié et qui détaillait les nombreuses activités douteuses de la CIA et le montra devant les caméras. Une enquête fédérale fut lancée. Schorr refusa de donner ses sources, refus qu'il maintint jusqu'à sa mort, et CBS refusa de le soutenir.
Après une brève traversée du désert qu'il occupa en donnant des conférences dans des universités américaines, Daniel Schorr rencontra Ted Turner, en 1979, et devint le premier journaliste de la toute nouvelle chaine de télévision par satellite, CNN. Schorr avait pris soin de faire figurer dans son contrat la phrase suivante : no demand will be made upon me that would compromise my professional ethics and responsibilities, aucune exigence ne me sera imposée qui compromettrait mon éthique et mes responsabilités professionnelles. Schorr fut particulièrement inspiré puisqu'en 1984 Ted Turner lui demanda de préparer John Connally, ex-secrétaire d'Etat au Trésor de Nixon, à devenir candidat républicain à la présidence. Non seulement Schorr refusa catégoriquement, mais partit en claquant la porte, pour finalement rejoindre NPR, l'année suivante.
Né dans le Bronx, en 1916, de parents immigrés juifs de Biélorussie, Daniel Schorr perdit son père jeune et eut une enfance difficile. Dans un ouvrage rétrospectif de sa vie professionnelle, A Life in Journalism, il écrivait sans détour : Being poor, fat, Jewish and fatherless achieved my identity, ce qui signifie Être pauvre, gros, juif et orphelin de père a forgé mon identité. Homme de conviction, journaliste au service du journalisme et rien d'autre, Daniel Schorr était tout cela avec talent. Sa mémoire n'a été évoquée que par CBS, avec éclat, et, dans la presse écrite par le seul New York Times, mais seulement en page 4 de son édition 23 juillet. Triste et révélateur.