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Billet de blog 30 septembre 2012

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Arthur Ochs Sulzberger (1926-2012)

Arthur Ochs Sulzberger, qui avait dirigé le célèbre New York Times de 1963 à 1997, est mort samedi 29 septembre 2012 à son domicile de Southampton dans l’Etat de New York. Il avait 86 ans.

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Arthur Ochs Sulzberger, qui avait dirigé le célèbre New York Times de 1963 à 1997, est mort samedi 29 septembre 2012 à son domicile de Southampton dans l’Etat de New York. Il avait 86 ans. Sulzberger n’était pas journaliste, il était directeur de publication, et sous sa direction le NYT a acquis une aura et une reconnaissance mondiales. Il ajouta le nom de Ochs à son patronyme par égard envers son grand-père maternel, Albert Ochs, qui racheta le Times en 1896 et assura son développement. La dynastie de Ochs Sulzberger a toujours été à la presse industrielle ce que fut le clan Kennedy à la politique et au parti démocrate, incontournable. Lorsque Albert Ochs mourut en 1935, comme il n’avait pas de fils, c’est son gendre Arthur Hays Sulzberger, époux de sa fille aînée Iphigene, qui prit les commandes du quotidien.

Photo NYT

En 1961, en raison de problèmes de santé Arthur Hays Sulzberger laissa la direction du quotidien à son gendre, A. Dryfoos, époux de sa fille aînée Marian, et, donc, beau-frère de Arthur Sulzberger Jr. En 1963, Dryfoos mourut brutalement, sans doute très affecté par la grève de deux semaines qui frappa le journal, et Arthur Sulzberger se retrouva propulsé, par la famille, à la tête du NYT à l’âge de 37 ans. Rien ne le destinait et ne le préparait à une telle charge, ce qui ne manqua pas d’inquiéter la dite dynastie à l’époque. Non seulement il rassura tout le monde rapidement par son charisme et ses initiatives, mais, en plus, il assura l’indépendance politique du quotidien et fut à l’origine de son expansion.

Gestionnaire avant tout, Arthur Sulzberger voulut d’abord remettre de l’ordre dans un journal, qui, selon lui, n’en avait plus. Il fit admettre sa devise Making money so that you could do good journalism, littéralement faire du profit pour pouvoir faire du bon journalisme. En 1970 il lança, avec succès, les différents suppléments du quotidien qui lui donnèrent plus de poids, au sens propre comme au sens figuré. Woody Allen n’a-t-il d’ailleurs pas dit un jour qu’acheter le NYT, en fin de semaine, était un exercice intellectuel et physique, puisqu’avec les suppléments le quotidien peut avoisiner les deux kilos. La réussite engendra l’imitation, puisque les quotidiens concurrents adoptèrent, eux aussi, les suppléments et cahiers. Mais c’est en 1971 qu’il donna au NYT ses lettres de noblesse dans le domaine de l’indépendance politique.

Cette année-là, en juin 1971, Arthur Sulzberger décida de publier l’histoire présumée secrète de la guerre du Vietnam, document connu sous le nom de The Pentagon Papers. Un bras de fer s’engagea alors avec l’administration Nixon qui exigea que les documents ne soient pas publiés au nom de la sécurité intérieure. Arthur Sulzberger demanda l’arbitrage de la Cour Suprême qui lui donna raison au nom du premier amendement de la constitution américaine. Ce coup de tonnerre fit de Sulzberger un héros et renforça la liberté de la presse, qui prit, trois ans plus tard, un nouvel essor de portée mondiale, avec l’enquête de Bob Woodward et Carl Bernstein, journalistes du Washington Post, qui conduisit à l’affaire du Watergate et au processus d’impeachment et à la démission de Nixon. Destins divers, puisque le bras droit de Nixon, Henry Kissinger obtint le prix Nobel de la paix, en 1973, après avoir longuement travaillé, en coulisses au coup d’état chilien contre le président démocratiquement élu, Salvador Allende.

Arthur Sulzberger retira de cet épisode une aura indélébile. Il avouera plus tard qu’il avait défendu sa rédaction pour le principe inaliénable de la liberté de la presse, car le contenu des Pentagon Papers l’avait un peu rasé, ce qui lui donna l’occasion de dire : Until I read the Pentagon Papers, I did not know that it was possible to read and sleep at the same time. Ce fut un patron de presse industrielle tendance bourgeois éclairé, qui mit un point d’honneur à ne jamais intervenir directement sur la ligne éditoriale du journal. Il découvrait la « une », les titres de « une » et le contenu de son journal lorsqu’il était livré à son domicile dans Manhattan.

Cependant Arthur Sulzberger était surnommé Punch, surnom datant de sa prime enfance, car il utilisait ce surnom pour écrire des éditoriaux dont la rédaction n’approuvait pas toujours le contenu. Ainsi, en 1976, Punch prit l’initiative de soutenir le candidat Daniel P. Moynihan, sans consulter sa rédaction, dans la campagne électorale des sénatoriales dans l’Etat de New York, ce qui provoqua remous et départs au sein de la rédaction. De plus, Punch, littéralement un coup de poing, métaphore présumée du contenu de ses éditoriaux, lança la participation bidon au courrier des lecteurs. Il avait, en effet, pris l’habitude d’envoyer des lettres à la rédaction sous le nom de A. Sock, sock en argot signifie une mandale, dans lesquelles il avait des solutions pour tous les problèmes de la vie quotidienne américaine. Cette habitude cessa brutalement en 1979, pour le plus grand soulagement de la rédaction, lorsque la secrétaire nationale de la National Organization for Women, qui avait flairé le lourd stratagème, répliqua à une lettre du présumé Sock, en ces termes : That Mr. Sock deserves (mériter) a good punch. Comme il se doit dans les dynasties et dans la presse industrielle, c’est son fils, Arthur Sulzberger Junior qui lui a succédé en 1997.

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