
L’ouvrage de Laurent Mauduit commence par une brève introduction, intitulée Avertissement, hautement révélatrice de cette main basse sur l’information, titre qui est un hommage au chef d’œuvre cinématographique de Francesco Rosi, Main basse sur la ville (Le mani sulla cittá), drame de 1963 qui montre comment la municipalité corrompue de Naples transforme des terrains agricoles en terrains constructibles, dont le chantier conduit à l’effondrement d’une maison et à la mort de ses occupants. En effet, l’auteur rappelle que, selon les principes d’une enquête journalistique sérieuse et fiable, il a contacté tous ceux qui allaient être « les acteurs de {son} histoire » et qu’il souhaitait rencontrer. Parmi eux, Louis Dreyfus, directeur du groupe Le Monde, qui répond par courriel, en reprenant l’expression « les acteurs de mon histoire » et en ajoutant ce sigle d’une élégance raffinée, agrémenté de trois points d’interrogation et de trois points d’exclamation : « WTF ?!?!?! ». Vous avez bien lu, la siglaison de WTF signifie What the fuck?, dont l’équivalent sémantique en bon français, si l’on peut dire, pourrait être, Qu'est-ce que c’est que ce merdier/bordel (choisir selon son niveau de langue…)? Donc on peut être directeur du groupe Le Monde et fils d’un ex-député socialiste (rocardien) de Paris et s’exprimer dans un franglais peu soutenu proche du langage de la bande dessinée, détail tristement révélateur d’un snobisme dévastateur.
On reconnaîtra un seul mérite au pré-cité, il a répondu à Laurent Mauduit, ce que n’ont pas fait les autres protagonistes pourtant courtoisement sollicités. Car cette main basse est détaillée dans une énumération déprimante :
1- Vincent Bolloré a asservi Canal +.
2- Patrick Drahi, financier franco-israélien, a mis la main successivement sur Libération, L’Express, BFM-TV, BFM-Business et RMC.
3- Le richissime trio Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse possède désormais Le Monde et Le Nouvel Observateur, Matthieu Pigasse ayant ajouté à son tableau de chasse, Les Inrocks et Radio Nova.
4- Bernard Arnault, milliardaire du luxe, a racheté Les Échos et Le Parisien.
5- Iskander Safa, milliardaire libanais, s’est offert Valeurs Actuelles, hebdomadaire proche de l’extrême droite.
6- Arnaud Lagardère ( qui considère Nicolas Sarkozy comme son frère…) détient Paris-Match, le JDD et Europe 1 (où, comme chacun sait, Daniel Cohn-Bendit continue de faire de la résistance…).
7- Martin Bouygues, fils de son défunt père, est propriétaire de TF1.
8- Serge Dassault, qu’il est inutile de présenter, est à la tête du Figaro.
9- François Pinault, concurrent d’Arnault dans le domaine du luxe, possède Le Point.
10- La famille Bettencourt contrôle et finance L’Opinion.
Pour agrémenter ce tableau qui marque un réel retour à la féodalité, Laurent Mauduit démontre et explique que bon nombre de ces prises de pouvoir se sont faites dans des conditions peu reluisantes et peu respectueuses du droit souvent (cf La folle boulimie de Drahi, p-101), et au mépris total de l’indépendance des journalistes toujours, et cela pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale. De plus certains de ces oligarques non seulement ont agi avec la bénédiction d’élus de droite majoritairement, mais pas seulement, mais, en plus, ont placé des hommes de paille, qui n’ont aucune compétence particulière dans le domaine des media et du journalisme, à des postes-clés, comme l’a fait Bolloré à Canal + et D8. Laurent Mauduit revient, comme il l’avait fait dans ses articles de Mediapart, sur le rôle mortifère du duo infernal Minc-Colombani dans la chute du journal Le Monde ( La seconde mort d’Hubert Beuve-Méry, p-197).
Si, comme exprimé plus haut, cette énumération et ce constat ont quelque chose de profondément déprimant et consternant, néanmoins le travail et les enquêtes de Laurent Mauduit, tout comme celui des fondateurs et des acteurs de Mediapart, constituent une source d’espoir dans la liberté d’informer qui rend plus noble encore le slogan de Mediapart, « seuls nos lecteurs peuvent nous acheter ». Ce travail et son auteur représentent un exemple et une référence, résumée par la dédicace générale : « A tous les jeunes journalistes qui rêvent de faire leur métier la tête haute. »
Main basse sur l’information , Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart, éditions Don Quichotte, 19,90€.