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Billet de blog 17 octobre 2025

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Une prise de conscience bouleversante

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Une prise de conscience bouleversante.

Au fil de la vision des films proposés au Festival international du film de Douarnenez, cet été 2025, et consacré essentiellement aux indiens d’Amazonie, j’ai été, interpelé, ému, finalement bouleversé.

Nous, public, parcourons des kilomètres d’une nature, forêts, cours d’eau, prairies, clairières, d’abord vierges de toute empreinte humaine.

Nous voyons, parfois devinons, des animaux, oiseaux, mammifères, poissons, en toute quiétude, dans leur cadre de vie inviolé.

Nous participons aux divers cycles de la nature, pluie et soleil, jour et nuit, avec leurs cortèges de sons et lumières, parfois insolites, intrigants mais toujours habités.

Nous nous enchantons au spectacle des enfants qui jouent, se baignent avec une insouciance dont leurs sourires éclatants témoignent.

Nous assistons à la préparation de cérémonies et de danses où les corps sont habillés de peintures rituelles et d’habits pour nous mystérieux mais dont la beauté est souvent saisissante. Puis aux chants, danses, cérémonies eux-mêmes. Nous savons qu’elles sont signifiantes pour leurs acteurs(trices), nous en méconnaissons les sens profonds, mais en partageons l’expression.

Puis se font entendre soudain les bruits obscènes du brigandage du bois, les explosions meurtrières des forages pétroliers, même quelques coups de feux, les grondements des engins qui ravagent les sols, les craquements assassins des incendies volontaires qui consument des pans entiers de forêts. Le capitalisme sauvage (pléonasme?) sévit.

Et nous rencontrons les indiens.

Peu à peu, à l’écoute multiple des interviews, de leurs échanges, je perçois un mode de communication un peu inattendu : paisible, sans aspérité inutile, douceur sans doute accentuée par les larges et ronds visages des plus typés de nos interlocuteurs. Mode que confirmeront souvent les dialogues « en direct » avec certains d’entre eux, lors des discussions qui succèdent à la vision des films ou des conférences et des débats. Mode étonnamment sans colère mais qui n’ôte rien aux témoignages authentiques et poignants.

Je vais rapidement observer, dans un second temps, que cette « forme » va de pair avec un « fond » qui exprime toute la philosophie de l’existence de ces peuples, philosophie rétive et résistante. Et radicalement renversante pour nous autres, européens, colonisateurs par le passé et encore dans le présent, lancés que nous sommes, aujourd’hui sur des trajectoires suicidaires.  

 N’auraient-ils/elles pas raison ?

D’abord, tout simplement dans leur façon d’être, empreinte d’une sage lenteur :

- dans leur marche presque nonchalante, qui donne du temps au regard, à la contemplation. Qui me permet, m’enjoint presque de les accompagner dans cette  sérénité.

- dans le rythme de leur parole qui coule sans modulations excessives, intensifie mon écoute et interdirait tout éclat en retour.

Puis un propos dont l’évidence s’impose, difficile pour moi à saisir entièrement dans les premières expressions. Ils sont eux - aussi la nature, arbres parmi les arbres, animaux parmi les animaux, éléments parmi les éléments, nourris du territoire où ils vivent. Et c’est parce qu’ils/elles incarnent littéralement ce qu’ils/elles expriment que je finis par comprendre, bouleversé, ce que nous avons en grande partie perdu : ce rapport existentiel à la nature, qu’ils/elles vivent au quotidien, dans une justesse qui rejaillit  sur nous. D’où leur respect radical pour leur environnement, sa célébration qui ne doit rien à une quelconque religiosité accaparante, mais tout au partage, à « l’être avec », à une destinée cosmique commune.

Enfin, une stratégie dont la finesse m’apparait, à la fois comme la seule possible, et la seule à même de leur garantir une survie toujours menacée de nos jours. Ainsi la poursuite des prédations multiples par des multinationales dont les gouvernements « nationaux » sont le plus souvent complices, les assassinats des leaders, majoritairement des femmes.

Cette stratégie comporte plusieurs volets dont la mise en système est sûrement un gage de réussite à long terme.

- la lutte pacifique pour obtenir le droit. Face aux armes létales qui peuvent leur être opposées, l’arrestation et l’échange, par exemple avec des bûcherons qu’ils relâchent après avoir confisqué et même brûlé le matériel. Ne disposant pas, eux-mêmes d’arsenal, ce choix s’avère judicieux, susceptible de réussir comme l’a été celui de Gandhi, et même s’il a été coûteux.  

- ou bien la revendication en justice avec manifestations massives de soutien pour obtenir la sanctuarisation des territoires amazoniens.

- ou encore, leur propre formation pour accéder aux seuils nécessaires de maîtrise de leur prise de parole autonome.

- ou enfin la diffusion des informations sur des actions à l’étranger, en se missionnant eux-mêmes ou à l’aide de journalistes engagés pour sensibiliser la planète avec l’idée que c’est elle qu’ils/elles défendent, au service de l’humanité.

Je réalise la pertinence de ce choix de vie des indiens d’Amazonie. S’il n’est évidemment pas reproductible à nos échelles, elle  est inspirante. A bien des égards, admirable d’abnégation, de simplicité, d’harmonie, de bienveillance, d’intelligence sociale malgré des fragilités reconnues : présence de la drogue comme trafic et hélas comme consommation, conflits inter peuplades…    

Une des leçons de ce festival ?

 Me laisser imprégner en profondeur par leur sagesse existentielle qui revitalise en moi des valeurs que je ressens en partage.

Mais après m’être laissé imprégner par le sensible des émotions multiples, je médite sur un « que faire ? » rationnel qui se hisse à la hauteur des enjeux de survie planétaire que les amazoniens revivifient devant moi.

Et la difficulté de nous situer, occidentaux, pour agir au-delà des pétitions, protestations, manifestations, dénonciations, diffusion de ce qu’ils nous réapprennent, même s’ils nous disent que ces modalités d’aide sont plus pertinentes que nous l’imaginons.

Recouvrer en nous les valeurs qu’ils incarnent en une forme de solidarité entre humains à la même destinée ?

Ne pas baisser pavillon  devant les périls qui montent.

 Chemin difficile, mais peut-être réalisable si nous savons faire nombre.

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