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Billet de blog 29 octobre 2012

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La schizophrénie culturelle des psychanalystes (par Dov Botturi)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je publie ici, avec grand plaisir, ce texte remarquable (un véritable essai) signé Dov Botturi. Avec son accord, bien sûr.
La montée des neurosciences, de la génétique comportementale, de la psychologie cognitive suscitent chez les psychanalystes et leurs adhérents (travailleurs sociaux) des aires de résistances multiples qui s’expriment notamment par l’Appel des appels de Gori ou le Collectif des 39, parmi tant d’autres, provoquant une régression vers ce qu’il faut appeler une mythologie des origines, le retour à Freud, la relecture fiévreuse des Séminaires de Lacan, etc. Retour censé répondre aux remises en questions, retour se manifestant par un refus à relever les défis des apports scientifiques.

Les divers apports scientifiques sont perçus comme des attaques infligées à la tradition psychanalytique à la française, aux manières de vivre et de penser découlant de cette tradition.

Les apports scientifiques ne sont pas abordés comme des nouveaux modèles mais comme une conspiration de « mages noirs », de « scientistes », des laboratoires pharmaceutiques, de « l’ordre néo-libéral », de la « marchandisation du soin », du « New public Management », d’une idéologie « de la norme et de la performance », une « animalisation du genre humain », etc.

Comment pourrait-il en être autrement, la psychanalyse plus spécialement lacanienne a développé un langage propre qui au final ne saisit plus le réel mais le voile, l’obscurcit par des interprétations qui se superposent les unes aux autres.

Les idées nouvelles qui surgissent dans un flux continus depuis maintenant quarante ans, la psychanalyse comme les psychanalystes ne peuvent les affronter pour permettre des repositionnements nécessaires, car la communauté psychanalytique fermée sur elle-même n’a pas participé à leurs genèses, ni même porté d’attention à leurs développement.

De plus en plus le décalage s’accroit entre une réalité scientifique et un monde psychanalytique qui s’est banni de lui-même de cette réalité en construction constante.

Les psychanalystes se rendent compte que leur discours n’a plus de prise, d’où les fuites en avant par exemple d’Élisabeth Roudinesco ou des neuro-analystes.

Bien des psychanalystes vivent dans l’enchantement d’un monde forgé par les légendes dorées de Freud découvreur de l’inconscient, de la sexualité, les Écrits de Lacan convoquant l’ensemble des savoirs humains devant son tribunal, etc. Enchantement psychanalytique qui donnerait l’interprétation des secrets du monde.

Les psychanalystes savent-ils encore où ils habitent, fascinés par une vision intemporelle et déifiée du langage, de Lalangue ils peuvent sauter du coq à l’âne, dans leurs écrits tout s’emmêle Héraclite, Maine de Biran, Clérambault, Hilbert, Saussure, Leibnitz, Saint Augustin, Paul Valéry, la linguistique, la philosophie spéculative, l’histoire, la théologie, les mathématiques, l’anthropologie, la psychiatrie… l’antiquité côtoie le présent dans la confusion.

Quel rapport peut-il exister entre le progrès de la science et la spéculation des maitres à penser de la psychanalyse, quel rapport entre le mathématicien chercheur et les mathèmes de Lacan, quel rapport entre le neuropsychologue et le développement libidinal de Mélanie Klein ? Quel rapport entre un monde où l’on conseille de ne rien accepter qui ne soit vérifié expérimentalement, de se montrer critique vis-à-vis des a priori dogmatiques et les spéculations des maitres à penser de la psychanalyse qui eux conseillent de se retirer de ce vain monde qui ne serait que semblant, illusions.

 C’est ainsi que le mensonge devient une manière d’exister, une manière de disqualifier une réalité qui échappe aux psychanalystes qui vont chercher des boucs émissaires : capitalisme financier, comportementalisme etc… qui vont n’être finalement que des psychotropes les plongeant davantage dans le sommeil dogmatique.

Pourtant ce ne sont pas les moyens qui manquent, les psychanalystes sont tous des gens intelligents, cultivés mais ils sont bloqués, inhibés quelque part… victime d’une pensée totalisante, ayant la prétention de donner des interprétations à tout et pour tout, cette pensée contrairement à ce qu’elle dit ne s’intéresse pas au particulier, aux faits, les détails les fatiguent, ils sont balayés d’un revers de main, l’exactitude les ennuient, la critique les décourage. Ils sont les rentiers des maitres fondateurs, tournant le dos à toute aventure susceptible d’ébranler leur quiétude. Les psychanalystes se prennent pour les seigneurs du langage, de l’intersubjectivité, du savoir, Lacan leur a confié en dépôt la Vérité, tout est écrit dans ses Écrits, le reste s’en déduit à partir de ses mathèmes.

Les psychanalystes sont enfermés dans leurs réflexes de défense, leurs blocages intellectuels et surtout répétons le dans cette prétention illusoire qui croit avoir des réponses toutes faites à toutes les questions du monde, égocentrisme collectif délirant qui semble suggérer que monde commence par Freud et finit avec Jacques Lacan… chute de l’intelligence mais cette chute ne porte-t-elle pas en elle-même les germes de sa putréfaction, de sa mort ?

Dov Botturi

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