L’élite !
Pour la majorité de nos compatriotes, elle semble un monde inatteignable ; une autre planète ; celle de ceux qui tiennent les rênes d’un pouvoir dont les limites échappent à l’entendement. L’élite, une abstraction, vivrait ailleurs : au-delà du commun des mortels avec des perspectives et des moyens que le raisonnement habituel ne saurait discerner.
Faire partie de l’élite : un rêve !
L’élite croit avoir un nom : ENA, CPA, Grandes Ecoles, en les discernant bien par leurs appellations qui sonnent comme un label… Y être admis vaut « consécration » ! Notre monde n’a cependant pas uniquement besoin de rêver. L’action doit être pensée, conduite avec intelligence et détermination. Que ce soit pour la nation, la région, l’économie ou la marche des entreprises, le pouvoir est une nécessité absolue. L’élitisme donne une image mais ne confère pas le pouvoir.
Le pouvoir est plus précisément l’expression de la personnalité : une alliance de l’intelligence et du caractère. Un cursus peut modeler les connaissances. C’est la vie qui forge le caractère.
Cette introduction voudrait fustiger tous ceux qui exercent une parcelle de pouvoir mais, carrière oblige, affichent la médiocrité de leur intelligence en confondant pouvoir et suffisance. Cela peut aller jusqu’à la dépendance et même la servilité.
Pour sortir de la crise, il n’est pas suffisant d’ajouter « quelques cours d’éthique au programme des écoles d’affaire » (Joseph E. Stiglitz). Une autre race de dirigeants doit naître. Il ne sert à rien d’avoir l’intelligence d’apprendre sans avoir celle de faire et parfois même celle d’être.
Et si la consécration des dirigeants venait de la rue, du hasard des quartiers, du contact de « ceux », et ils sont le plus grand nombre, qui confèrent le vrai pouvoir. Car le pouvoir ne se décrète pas. Il n’existe pas tant qu’il n’est pas reconnu et légitimé par ceux qui le subissent. Combien de dirigeants n’ont de pouvoir que celui qu’ils s’attribuent ou que leur donnerait la propriété ?
Acquérir des connaissances est évidemment indispensable mais celles-ci ne justifient le pouvoir que si elles sont portées par la proximité étroite qui lie « le savant » au groupe, un vécu qui identifie le dirigeant à ceux qu’il dirige, une proximité qui entraine la reconnaissance par le partage d’une éthique permettant de comprendre des aspirations. Sans cet effort de proximité, le risque de rejet peut être important.
Le pouvoir ne vient pas de la parole…. Le « blablatage » masque le vide.
Le système de formation des élites est à revoir au niveau des recrutements autant qu’à celui des programmes. En commençant par celui du recrutement dans les plus Grandes Ecoles. La capacité intellectuelle ne définit pas la personnalité, même si elle en est bien évidemment une composante. Combien d’anciens de nos plus Grandes Ecoles se révèlent médiocres dans l’exercice de leur profession ? Combien de dirigeants issus du rang, forgés par leur seule volonté, se révèlent d’authentiques dirigeants ? Combien de jeunes, laissés au bord du chemin, se révèleraient de remarquables dirigeants si la société leur en donnait les moyens.
C’est une étrange sensation que de côtoyer des gamins de vingt ans, tout juste admis mais déjà parvenus alors qu’ils n’ont même pas intégré leur école, et dont le seul objectif ne peut plus être que le rang de sortie. Il convient d’aller chercher l’élite de demain là où elle se terre. Les épreuves d’admission doivent porter autant sur la dimension, l’originalité, la diversité de l’expérience que sur la notation d’une année de préparation bachotée. Un concours, un stage de complaisance ne constituent pas une expérience. L’indispensable mesure de la capacité intellectuelle devrait être complétée par l’évaluation de la personnalité et l’on peut même se demander si l’ordre de ces facteurs ne devrait pas être inversé !
- L’évaluation de la personnalité est primordiale
- L’expérience doit supplanter la connaissance.
- La responsabilité globale ne s’acquiert que comme conclusion naturelle d’une série de responsabilités partielles correctement assumées.
- La reconnaissance par le groupe à diriger ne s’acquiert que par la proximité.
L’année de « prépa » devrait être complétée par un stage actif et long, loin de toutes les complaisances amicales. De la même manière les années d’études devraient être suivies d’une longue période d’incubation dans des postes subalternes, loin du pantouflage complaisant dans un ministère ou une entreprise.
Ce n’est qu’alors qu’un perfectionnement, à la croisée de toutes les formations, ouvrirait aux meilleurs la porte des fonctions dirigeantes.
On est loin des 30% de boursiers à admettre dans chaque Ecole !
L’absence de diversité dans l’analyse des phénomènes économiques est également une source d’étonnement. Les personnalités politiques, de droite comme de gauche, s’accordent tacitement sur l’orientation générale de la société. Ils se différencient à la marge, par des un peu plus ou des un peu moins. Ils ne brillent pas par la diversité de conception de l’avenir qu’ils sont censés préparer. Leur monde n’est que plus ou moins capitaliste ou plus ou moins socialiste. Tous sont des libéraux de stricte obédience. Ils ont été formatés dans les mêmes institutions. Les solutions à la crise sont plus ou moins d’orientation keynésienne… mais oublient facilement les réajustements d’équilibres prônés par le maître. Les conseillers politiques, de droite comme de gauche, sont pratiquement tous issus de l’ENA… ils raisonnent tous et trop souvent sur des schémas, des modèles économiques voisins.
Les méthodes d’entrainement au gouvernement de l’Etat comme à celui des entreprises doivent être revues, plus que complétées par des séjours à l’étranger qui sont entrés dans les habitudes. Jeux d’entreprises, simulations de situations, études de cas doivent être orientés vers l’imagination de solutions novatrices plus que vers la recherche d’une solution prédéfinie... par telle ou telle réussite d’hier ou d’avant-hier. C’est le moment où, sans risque, il est possible de s’aventurer dans des voies inexplorées, d’imaginer d’autres mondes.
Bercy est le cerveau de l’Etat. Il n’est pas normal que les successions démocratiques qui se produisent périodiquement à la tête de l’Etat, ne conduisent pas au renouvellement des neurones qui conseillent et préparent les évolutions… sauf à penser que ces évolutions politiques elles-mêmes ne seraient que des leurres fédérés par le savoir confisqué d’une classe technologiquement unifiée.