Par Jacques Chastaing
Ce qui se passe au Pakistan est significatif de ce qui se passe dans le monde y compris en France en cette période électorale.
Déjà un peu à partir de 2018/2019 mais surtout depuis l'hiver 2020/2021 un énorme mouvement populaire parallèle à celui en Inde ou au Sri Lanka au même moment, ou encore bien ailleurs dans le monde, s'est levé sans cesser depuis contre la hausse des prix, le blocage des salaires, les licenciements en masse, la privatisation à tout-va, la destruction des services publics et des acquis sociaux et démocratiques.
L'opposition politique au régime militaro-islamiste d'Imran Khan au pouvoir au Pakistan, a choisi de se mettre à la tête de ce mouvement pour éviter qu'il se fasse sans elle et a donc appelé à des marches populaires sur la capitale Islamabad pour renverser le pouvoir en place entrainant avec elle des millions de manifestants à différentes reprises depuis l'hiver 2020/2021 et tout dernièrement du 27 février au 29 mars 2022 où elle invitait les centaines de milliers de personnes à occuper la capitale et la place devant le parlement jusqu'à ce que le gouvernement démissionne.
Mais en même temps, par peur que ces mobilisations populaires ne tournent à la révolution, l'opposition déposait une motion de censure le 9 mars pour tenter de mettre en minorité le gouvernement et l'obliger à démissionner par voie légale et parlementaire. Le vote de cette motion de censure devait se faire ce dimanche 3 avril 2022. Sous la pression de mobilisations populaires de rue, plusieurs députés du parti au pouvoir le quittaient et plusieurs de ses alliés annonçaient qu'ils rompaient également avec lui, faisant qu'au 29 mars, le gouvernement n'avait plus de majorité pour diriger le pays.
Aussitôt, le 29 mars, les leaders de l'opposition congédiaient les foules de manifestants assemblées dans la capitale leur assurant que l'affaire était dans la poche, que le gouvernement allait tomber et qu'il n'était plus la peine de rester sur place.
Aussitôt, attendant juste quelques jours que les manifestants soient dispersés, le 3 avril au matin du vote, le 1er ministre organisait un coup de force, dissolvait l'Assemblée nationale contre l'article 6 de la constitution, appelant à de nouvelles élections dans les 90 jours, pour échapper à la motion de censure et à sa chute.
L'opposition, prise au dépourvu et sans les foules de manifestants qu'elle avait renvoyées chez elles par peur d'une situation révolutionnaire qui auraient cependant empêché cette manœuvre si elles étaient restées, criait à la haute trahison et parlait d'occuper l'Assemblée jusqu'à ce que la motion de censure soit votée... tout en s'en remettant à la Cour suprême pour juger de l'inconstitutionnalité ou pas du coup de force du premier ministre.
On en est là.
On ne sait pas si les députés d'opposition auront le courage de ceux de l'Assemblée nationale française réunis au Jeu de Paume le 23 juin 1789, déclarant par la voix de Mirabeau contre le roi qui voulait les expulser : « nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. »
Est-ce qu'ils vont appeler à la mobilisation populaire ? On peut en douter, étant donné qu'ils ont encore plus peur de la révolution. Est-ce que la population va se mobiliser ou menacer de se mobiliser, ce qui pourrait faire penser la décision de la Cour Suprême. On va voir.
Mais quoi qu'il en soit, ce qu'on constate, c'est qu'il y a une forte détermination populaire à se battre, comme en France depuis 2016 ou 2018 mais sans aucune représentation politique unifiante réelle ; qu'il y a une pusillanimité de l'opposition parlementaire traditionnelle qui se refuse à épouser la colère populaire jusqu'au bout, c'est-à-dire construire un rapport de force par la rue, la grève générale, seul réel moyen chasser ainsi ces pouvoirs au service des capitalistes ; qu'il y a enfin une réaction, qui elle, utilise jusqu'au bout toutes ces failles de la représentation politique populaire, ce qui peut aller jusqu'au coup de force, le coup d'Etat militaire pourquoi pas, comme on l'a vu en Birmanie ou au Soudan, ou encore la fuite en avant de la guerre comme Poutine.
Alors, s'il y a bien une chose à s'atteler à construire dés maintenant, car nous allons connaître ce type de situations, c'est cette expression politique unifiée des colères et des aspirations des classes populaires.
Jacques Chastaing 3 avril 2022

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