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Billet de blog 9 juillet 2021

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Haïti: couper l'herbe sous le pied à un soulèvement populaire ?

Je tenterai dans les jours ou semaines qui viennent de répondre à la question essentielle: Où va Haiti ? Mais pour répondre à cette question, il est déjà utile de répondre à celle-ci : à qui profite l'assassinat du président Moïse ? Les deux hypothèses le plus souvent avancées ne doivent pas occulter une troisième. Et le crime peut profiter à plusieurs acteurs. C'est la tâche des alliances...

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On ne peut écarter dès maintenant la thèse d'un réglement de compte entre gangs liés à différents secteurs de l'oligarchie et leurs relais politiques. A ce jour, les déclarations du chef de la police Léon Charles donnent plutôt corps à cette explication. On peut penser aussi que le chef de la police a ordre de les diriger dans ce sens. Mais l'hypothèse ne peut être à cette étape écartée. Les affrontements entre secteurs de la bourgeoisie ne manquent pas dans un contexte de désastre économique, écologique et sanitaire.

On ne peut pas non plus écarter la seconde hypothèse, plus shakespearienne, dont ne parle évidemment pas le chef de la police: la volonté du Premier ministre Claude Joseph de prendre le pouvoir - ce qu'il a fait en déclarant l'Etat d'urgence - juste avant que le nouveau premier ministre, Ariel Henry, nommé par le président Moïse deux jours avant son assassinat, ne prenne ses fonctions. Le conflit est patent "Y-a-t-il plusieurs Premiers ministres nommés dans le pays?", a interrogé Ariel Henry, assurant que Claude Joseph n'était que ministre des Affaires étrangères.

Mais quand on connait bien l'histoire contemporaine d'Haiti, on ne peut s'empêcher de penser à un coup beaucoup plus politique. C'est la stratégie "couper l'herbe sous le pied" (à Washington "cut the rug out from under"). Les puissances impérialistes l'utilisent facilement, sur tous les continents.

En Haiti, la CIA l'a utilisée en 1986 et en 2004.

En 1986, face à la montée inexorable du mouvement populaire contre Bébé Doc, la CIA a organisé un coup de l'armée, dirigée par le général Namphy.

En 2004, rebelote: Aristide, élu par un vote massif en 1990, renversé par un coup militaire en 91, et remis en selle après avoir été retourné lors d'un "exil' doré à Wahsington, est ramené Port-au Prince pour imposer les plans du FMI. Mais il fait face en 2004 à une montée du mouvement populaire, là aussi très menaçante pour l'oligarchie. Alors, toujours pour "couper l'herbe sous le pied" d'une révolution populaire, l'armée US débarque, occupe le pays et expulse Aristide cette fois-ci en Afrique du Sud.

Or depuis le soulèvement populaire de juillet 2018, sans doute le plus important depuis justement la chute de Duvalier fils en 1986, le régime est en sursis. Il n'a aucune légitimité et ne repose que sur une violence inouie, orchestrée par la police, l'armée ressucitée et les gangs alliés au régime. Il était temps de changer le comédien en chef. En France, on parlerait d'alternance...

Par ailleurs, la composition du commando, 26 colombiens, au moins 6 liés à l'armée de ce pays, et deux haitiano-américains, correspond au vivier de tueurs couramment au service des Etats-Unis. Enfin, que 11 d'entre eux aient tenté de se réfugier dans l'ambassade de Taïwan, protégée des USA, n'est peut-être pas par hasard. Mais 11 sur 28, cela ressemble plus à un débandade, qu'à un plan d'évacuation. Il faudrait avoir la chronologie de tous les faits qui ont suivi la sortie de la résidence. Ce commando est-il tombé dans un piège ?

Enfin, le président, qui n'avait qu'une confiance limitée dans la police, avait recruté un service de protection auprès de la société Blackwater, très liée à Washington. Or le commando est entré dans la résidence comme dans une église...

Mais aucune hypothèse n'est confirmée. De plus, le crime peut profiter à plusieurs acteurs. C'est la tâche des alliances...

En complément sur Haiti et bien au delà, tous les jours la rubrique Amérique Latine et Caraïbes de la Revue de Presse Emancipation!

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