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Billet de blog 13 février 2022

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Février, mars, avril 2022 : tout est possible ! -Jacques Chastaing

Ce 12 février a clôt une période, celle de la gestion policière du covid et de ses multiples atteintes aux libertés. Il en a ouvert une autre qui renoue au delà des Gilet Jaunes avec la vague de grèves mondiales de 2018-2019, additionnées de toutes les colères accumulées développées durant ces deux dernières années de covid en même temps que des consciences qui s'y sont forgées.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les bourgeois, leurs hommes politiques et leurs médias sont inquiets. Le retour fracassant ce 12 février des Gilets Jaunes et du Convoi de la liberté sur la place de l’Étoile et les Champs Élysées leur fait voir et craindre à travers cet événement l'expression d'un climat social électrique généralisé.

La bourgeoisie a bien raison d'être inquiète. Le mouvement de ce 12 février n'a certes pas atteint l'ampleur de celui de 2018 et ses 500 000 manifestants du 17 novembre – l'histoire ne se répète jamais – mais par son nombre quand même et toujours sa détermination et sa colère, il a ouvert bien d'autres portes, peut-être encore plus dangereuses pour le pouvoir en place.

Ce 12 février a clôt une période, celle de la gestion policière du covid et de ses multiples atteintes aux libertés. Il en a ouvert une autre qui renoue au delà des Gilet Jaunes avec la vague de grèves mondiales de 2018-2019, additionnées de toutes les colères accumulées développées durant ces deux dernières années de covid en même temps que des consciences qui s'y sont forgées.

A l'approche des élections présidentielles, durant les mois de février, mars et avril, voire encore après, nous allons certainement connaître une conjonction d’événements qui vont accélérer le temps en cristallisant en France des tendances économiques, sociales et politiques d'une l'échelle mondiale.

LA FIN D'UN CYCLE D'UN CAPITALISME A BOUT DE SOUFFLE ET LA REAPPARITION DE LA SUBVERSION PROLETARIENNE

Replaçons cette colère populaire et Gilet Jaunes dans son contexte pour lui donner toute sa signification.

Nous vivons une fin de cycle d'un capitalisme à bout de souffle.

En même temps, cette crise avait engendré un mouvement continu de luttes commencé 2016 en France générant une prise de conscience croissante des méfaits du capitalisme. A partir de 2018-2019, une intensification de la conflictualité s'est produite en France comme à l'échelle internationale avec une vague de luttes d'une ampleur jamais vue – 52 pays touchés - , bien au delà, du moins en étendue, à celles de 1968, 1936 ou 1917 avec en France, notamment, un caractère subversif par le mouvement des Gilets Jaunes. Cette poussée populaire et ouvrière, un moment suspendue ou occultée par l'épidémie du covid et sa gestion policière, était en train de reprendre progressivement quand le 12 février lui a donné tout à la fois une visibilité et un coup d'accélérateur qui vont amplifier la pression ouvrière durant ce printemps 2022. Or cette période est particulièrement importante en France puisqu'il y aura des élections présidentielles au mois d'avril, qui sont la pièce maîtresse de la reproduction de l'ordre social.

Même si elle s'est estompée pendant l'épidémie, cette pression ouvrière ne s'est cependant pas arrêtée. Même au plus fort de la crise du covid, elle s'est exercée par des grèves en particulier aux USA et en Italie mais surtout en France avec une application massive et générale du « droit de retrait » la première quinzaine de mars 2020, qui a paniqué le Medef. Pour stopper ce mouvement, Macron lui-même affolé, a alors promis le 16 mars 2020 de faire passer la santé avant l'économie. Il a entériné de fait la situation créée par les travailleurs en payant leurs refus de travail. A cause de cette énorme concession et de leur peur, Macron n'a eu de cesse ensuite de tenter de retourner ce succès, de casser la pression populaire par un confinement sanitaire au régime policier tatillon et absurde, jusqu'à l'obligation de vaccination en juillet 2021, afin de diviser les classes populaires entre vaccinés et non vaccinés, politique imitée dans le monde entier.

Durant les quelques mois qui ont suivi le refus massif de travailler en mars 2020, la population a plus ou moins pris en main elle même la gestion de l'épidémie face à l'incurie et à la mauvaise volonté des dirigeants que ce fut au sein des structures de santé ou à l'extérieur par la solidarité envers les plus fragiles et par l'attention portée aux « premiers de cordée ». Ainsi, beaucoup ont pu rêver un instant « au monde d'après » où le soucis des autres passait avant « les eaux glacées du calcul égoïste » des capitalistes. Toute l'activité de Macron et du gouvernement a été ensuite de faire oublier ce moment où les classes populaires ont imposé un instant, même de manière déformée, leur droit à la vie et leur capacité à y arriver. Partout dans le monde, les mesures policières de santé ont répondu à cette pression prolétarienne, dont l'expression la plus concentrée a certainement été en France. Après le Canada, cette politique a pris fin en France le 12 février.

L'amorce de la levée des restrictions quasiment partout en Occident témoignait de l'usure de cette politique. Après déjà le coup de colère massif dans l'Education Nationale en France le 13 janvier, la « prise » des Champs Élysées l'enterre.

Les luttes de 2018-2019 renforcées de celles pour les libertés démocratiques, reviennent plus que jamais dans l'agenda et tout particulièrement en France avec la conjonction de grèves pour les salaires et des convois de la liberté. Les 13 janvier et 12 février font craindre aux notables la réapparition du spectre d'une prise en main de la société par les prolétaires et de notre côté l'attente impatiente de l'ambiance et des espoirs du « jour d'après », d'un monde meilleur. On en peut plus ! C'est tout cela qu'il faut entendre dans la peur exprimée tous ces jours-ci dans les médias à l'égard du convoi de la liberté. D'une certaine manière, les bourgeois ont aujourd'hui plus conscience des risques de la situation que les prolétaires de leurs possibilités.

Depuis juillet 2021, nous connaissons en France le large mouvement contre le pass qui s'est agrégé avec celui des Gilets Jaunes contre la hausse des prix à partir de novembre 2021 et qui a conduit à cette lutte unifiée des convois pour la liberté de cette semaine contre le pass et la hausse des prix. Il y a eu des mouvements du même type dans la plus part des pays occidentaux, voire plus importants encore, mais le basculement le plus marquant du sanitaire vers l'économique, contre la hausse des prix, a eu lieu en France, du fait de la présence des Gilets Jaunes, même si ce basculement n'a pas été encore jusqu'au bout par une jonction avec les grèves pour des augmentations de salaires. Car en même temps que ce convoi de la liberté et exprimant d'une autre manière la même colère, une vague grandissante de grèves pour des augmentations de salaires comme il n'y en a pas ailleurs, a commencé en mai 2021, s'est fortement accélérée en décembre 2021 et s'amplifie de jour en jour depuis. Or, cette vague de grèves pour les salaires, encouragée par la détermination et l'enthousiasme du convoi de la liberté contre la hausse des prix, pourrait faire passer un saut qualitatif au mouvement général en cours, un saut mortel pour le capitalisme et ses représentants.

UNE PRESSION PROLETARIENNE QUI VA AU DELA DES QUESTIONS SANITAIRES OU SALARIALES MAIS QUI N'A PAS ENCORE PRIS CONSCIENCE D'ELLE-MÊME.

Pour le moment, ce mouvement de grèves pour les salaires qui tend à se généraliser est encore désorganisé, pas coordonné et de ce fait, n'a pas encore conscience de lui-même. Par contre, dans le contexte actuel, à la lumière des colères du 12 février notamment, il a la dimension, la dynamique et la capacité d'une remise en cause des 30 dernières années de réaction capitaliste.

On assiste à des situations similaires aux USA et en Italie avec une tendance à s'en rapprocher dans d'autres pays d'Europe ou d'Amérique.

Cependant, les élections présidentielles en avril en France ajoutent encore autre chose.

Placées sans le vouloir à la conjonction de la fin de cycle du capitalisme, de la fin de la crise du covid, à l'explosion des convois de la liberté et de l'ouverture à la reprise des luttes de 2018-2019, cela ajoute une dimension politique, qui rend ce moment décisif bien sûr pour la France, mais aussi derrière elle, pour tous les pays européens et occidentaux voire peut-être plus loin encore. La France, depuis très longtemps, a toujours fonctionné comme un moteur à explosion. C'est tout à la fois un pays où la réaction est puissante et où, en même temps et en conséquence, les explosions révolutionnaires populaires y sont les plus nombreuses et les plus spectaculaires, avec souvent une portée internationale. Aujourd'hui, la bêtise, l'ignorance, la nullité des candidats du système en France, de Macron à Zemmour en passant par Le Pen et Pécresse, montre que le système n'est plus capable de se donner des hommes de talent pour se maintenir. Cette situation française ajoute ainsi la déliquescence de ses représentants politiques à la décomposition du système économique en Europe comme dans le monde, en faisant de la France un symbole de la désagrégation générale et faisant parallèlement de ses luttes un espoir pour tous.

La pression des luttes populaires et ouvrières qui va continuer et peut-être s'amplifier encore, fait que tout va être possible en février, mars, avril et peut-être encore mai et juin ou plus loin. Il va se passer des choses essentielles dans toute cette période qui tourne autour des élections présidentielles françaises, avant, pendant, ou après.

Pour comprendre cela, il faut bien prendre conscience de la dimension de cette pression prolétarienne et de ses effets.

Les très nombreuses luttes et grèves actuelles ne sont pas des luttes et des grèves sociales ou économiques comme les autres, des coups de colère sans suite et sans logique. Elles ont lieu dans un moment où le capitalisme est à bout de souffle et à la sortie d'une crise épidémique, un peu comme à la sortie d'une guerre, où tout conflit social même limité est habité de ses horreurs et aspire à un autre monde. Ces grèves et luttes portent toutes, plus que jamais, une dimension politique.

Prises individuellement, les grèves pour les salaires ne sont que des tentatives par les ouvriers de limiter l'érosion de leur pouvoir d'achat.

Mais ces grèves sont si nombreuses qu'elles sont une vague qui peut à tout instant se transformer en mouvement général visant bien au delà de la seule question des salaires. En bloquant l'économie, bien plus que ne peuvent le faire les manifestations de rue, c'est un mouvement qui peut être suffisamment fort pour entraîner beaucoup de monde et donner confiance pour engager la lutte pour reprendre tout ce qui nous a été volé depuis trente ans, depuis les retraites jusqu'aux protections contre le chômage et la maladie, en passant par ce qui a été détruit dans les services publics et tout ce qui a été démoli des libertés publiques et individuelles. Chaque grève aujourd'hui, quelles que soient ses revendications immédiates, est habitée de la conscience générale que les gouvernements de droite ou de gauche des milliardaires, financiers et grands patrons ont commencé une contre-révolution sociale remettant en cause tous les acquis sociaux et les libertés fondamentales et qu'il faudrait une riposte générale d'ampleur pour y faire face. Mais sans état-major pour cela, si chaque grève prise isolément n'a pas les moyens d'engager un tel mouvement, lorsque ces grèves prennent par leur addition une dimension suffisante, alors, cette conscience générale souterraine peut tout d'un coup s'emparer de ce mouvement sur les salaires pour en faire une lutte politique ayant l'objectif de renverser Macron et le système qu'il défend, parce que cet état d'esprit est latent.

C'est le mécanisme des révolutions. Elles partent toujours d'un point de détail secondaire, apparemment facile à atteindre, mais qui fait consensus dans une période où les attentes sont bien plus importantes.

Ainsi, la manifestation sur les Champs Elysées de ce 12 février éclaire la colère des enseignants du 13 janvier et la manifestation des salariés du commerce quelques jours plus tôt, le 9 février 2022. Dans la foulée de multiples grèves pour des augmentations de salaires dans le commerce et la grande distribution cet hiver, les salariés du commerce ont organisé une journée nationale de grève pour les salaires avec une manifestation nationale à Paris le 9 février. Il est déjà rare que les salariés du commerce soient invités à manifester nationalement et ensemble à Paris, mais qui plus est, ils ont manifesté aux abords de l'Assemblée Nationale, montrant bien par là, l'orientation politique centrale de leur combat, ce qu'il y a au fond des esprits de tous.

Si on n'a pas conscience de la vague prolétarienne déferlant sur le monde, visible depuis 2018, on ne voit pas dans le convoi de la liberté comme dans celui des anti-pass ou des Gilets Jaunes, une des expressions de ce courant prolétaire. Certains se laissent alors entraîner derrière les gouvernements à l’affût de drapeaux ou militants nazis dans ces mouvements, faute de la présence de la gauche, pour tenter d'extrapoler ces présences minoritaires à l'ensemble de ces mouvements et tenter de les salir ainsi. Par contre, si on comprend bien combien les prolétaires de toutes conditions cherchent aujourd'hui dans cette période, les voies de leur émancipation, on ne peut qu'être frappé par la force, la persistance et la radicalité de ces mouvements depuis 2018 par rapport à tout ce qui existait ces dernières décennies et comprendre que les ouvriers qui font grève aujourd'hui pour les salaires sont habités aussi du même esprit que les manifestants du 12 février et n'attendent qu'un déclic pour le faire entendre. On peut comparer la situation à celle de la fin du XIXe siècle où, d'un côté, il y avait des artisans et ouvriers des petits métiers à la conscience radicale ou révolutionnaire et de l'autre l'émergence des grandes entreprises avec des grèves économiques. La fusion des deux a donné naissance au mouvement ouvrier révolutionnaire qui a bousculé le monde.

Les grèves actuelles sur les salaires en se généralisant peuvent donner une expression efficace aux mouvements actuels de rue. Les manifestations sont utiles parce qu'elles montrent aux yeux de tous l'importance des mouvements. Mais elles ne bloquent que les rues momentanément alors que les grèves bloquent la fabrique du profit et mettent littéralement à mort le capital et son système. Il faut les deux. Il y a les deux, mais pas encore coordonnées. La lutte contre la hausse des prix peut y emmener mais aussi la proximité des élections présidentielles.

COMMENT PRENNNENT NAISSANCE LES PERIODES ET LES PARTIS REVOLUTIONNAIRES

La dynamique future de ces grèves sur les salaires dépend de la confiance en eux des prolétaires. Les convois pour la liberté, le 12 février et l'occupation des Champs Elysées malgré l'armada policière, peuvent contribuer à leur donner cette confiance. Suivant le degré de confiance en eux des ouvriers, le grand patronat apeuré peut concéder par peur de tout perdre une forte augmentation de salaires – ce qui ne serait pas rien dans les circonstances présentes pour le changement d'ambiance et de rapport de force général - mais le mouvement peut aussi aller jusqu'à l'idée d'un pouvoir ouvrier.

Nous pouvons y contribuer. Montrer la filiation des luttes et grèves continues depuis 2016, avec l'épisode en leur sein des Gilets Jaunes, comme recenser aujourd'hui le nombre de grèves sur les salaires et la croissance de leur nombre, de leur radicalité et de leurs possibilités, peut contribuer à cette prise de confiance des ouvriers. Montrer qu'il s'agit d'un mouvement encore désorganisé mais général et qui est en pleine croissance, parallèle aux mouvements de rue des Gilets Jaunes contre la hausse des prix, mais qui peut être convergent, montrer cette puissance potentielle, la grève et le blocage de l'économie alliés au 12 février, c'est faire prendre conscience qu'il est possible non seulement d'exiger et obtenir quelques pourcentages d'augmentation, mais aussi et surtout de reprendre tout ce que les grands patrons et leurs hommes politiques nous ont volé depuis trente ans et donner la perspective d'une société meilleure.

Pour le moment, les grèves pour les salaires sont encore des grèves économiques. Les salariés essaient d'obtenir un peu plus. Et les grandes entreprises qui donnent le ton ne sont pas encore entrées en lutte, ou pas franchement de manière totale, ne donnant ainsi pas encore le signal de la mise en route de la lutte générale. Mais il suffit d'un léger changement et en particulier de perception - et le 12 février peut être ce signal - , pour que tout bascule et que ces grèves deviennent tout d'un coup politiques et porteuses d'espoir. Tout est en effet dans la perception qu'on a de ces grèves.

La subversion ouvrière apparaît dés que la perception de son mouvement de lutte, de sa détermination est supérieure à celle de soumission et de pessimisme qu'imposent les dominants. Le convoi de la liberté des Gilets Jaunes contribue à ce changement de perception. Ajouté à cela, montrer aujourd'hui le nombre de grèves, leur importance, ce qui les lie les unes les autres de manière souterraine ainsi qu'aux Gilets Jaunes et le contexte général qui leur donne leurs possibilités révolutionnaires, c'est changer la perception de la période et de ces grèves. Prendre conscience à travers cela de ce que porte en elle cette période et donc des tâches qui en découlent, ça devient prévoir pour agir plus efficacement et non plus courir après les événements ou agir au coup par coup, sans plan. C'est devenir alors un pôle politique, regrouper les militants qui pensent ainsi et cherchent à agir ensemble. C'est l'embryon d'un parti au vrai sens du terme, avec toutes ses libertés et initiatives, loin des habitudes disciplinaires que le stalinisme et la social-démocratie ont acclimaté partout depuis longtemps. C'est dans ces périodes, où on peut changer la perception générale des luttes en montrant l'ampleur et la signification de ce que les gens font, en leur faisant prendre confiance en leur potentiel, en leur intelligence et leur conscience, qu'on donne un débouché collectif et organisé à leur révolte, qu'on change le monde.

TOUT EST POSSIBLE

Nous venons de vivre les 9, 10, 11, 12 et 13 février l'importance et la détermination du convoi des libertés et ce n'est pas fini puisque le 14 février, la manifestation sera européenne à Bruxelles. Et puis au niveau des grèves, le 15 février, les agents de l’Énergie sont appelés à une nouvelle grève nationale tandis que nombre d'entre eux n'ont pas arrêté la grève depuis la dernière grève nationale des 25, 26 et 27 janvier. Le 17 février, c'est une grève nationale à la Sécurité Sociale. Le 18 février, ce sont les agents de la RATP qui sont appelés à une grève pour les salaires, la première après leur grande grève de 2019 voulant reprendre la détermination des Gilets Jaunes. Le 18 février, c'est aussi un nouveau mouvement national des travailleurs sociaux dans la foulée de leurs mouvements réussis de décembre et janvier. Il faudra être attentif à l'évolution de l'état d'esprit des travailleurs dans ces grèves cette semaine après le 12 février et s'il change lui donner une expression. Par la suite, ce sont les grandes entreprises qui vont entrer en lutte pour les salaires autour des NAO (Négociations Annuelles Obligatoires) jusqu'à début mars. Le 8 mars aura lieu une journée de grève féminine qui pourrait être particulièrement suivie cette année vu le rôle important des femmes travailleuses dans tous les combats depuis 2016 et notamment chez les Gilets Jaunes. Le 17 mars, toujours sous la pression ouvrière, les directions syndicales appellent à une nouvelle journée nationale de grève pour des augmentations de salaires, un mois et demi après celle du 27 janvier et moins d'un mois avant les élections.

Bien sûr, c'est aujourd'hui, en même temps que le convoi de la liberté qu'il faudrait un appel national à la grève. Cela donnerait un élan considérable. Mais ne rêvons pas, les directions syndicales ne le veulent surtout pas. Elles ne sont pas révolutionnaires. Elles font partie du système et le défendent même si elles veulent des améliorations à la marge. Leur mobilisation du 17 mars, c'est juste pour tenter de suspendre les grèves jusqu'au 1er mai, de faire une pause pour permettre aux élections bourgeoises de se dérouler normalement. Mais rien ne dit que la pause va marcher. Il est possible que cette journée encourage au contraire à l'amplification des luttes comme on l'a vu dans la suite du 27 janvier et déjà, après la journée du 5 octobre, voire peut-être, déclenche un mouvement général comme cela s'était passé le 13 mai 1968.

Et puis, pour continuer cette pression prolétarienne sur les élections bourgeoise, le 24 mars, les retraités vont manifester. Enfin, toujours sous la pression de la lutte de classe, il y aura une grève nationale des agents territoriaux qui se battent depuis plus d'un an de manière émiettée, dans de très nombreuses communes du pays et parfois de manière très déterminée et radicale comme les éboueurs. Cette grève aura lieu le 31 mars, à dix jours seulement des présidentielles, au risque non seulement de donner l'idée à bien des agents territoriaux de continuer durant les élections, mais aussi, étant donné leur fonction dans les élections, de les bousculer. Des Gilets Jaunes ayant prévu de manifester la veille des élections, puis entre les deux tours et enfin au soir du second tour, une jonction détonante fait toujours partie du possible.

Cette pression ouvrière qui pèse déjà sur les élections bourgeoises va peser encore plus et leur retirer pas mal de légitimité. En retour, cette période électorale va contribuer à politiser un peu plus le mouvement social, l'unifier et le rendre plus dangereux pour l'ordre des exploiteurs.

Cette situation rend impossible de prévoir ce qui peut se passer précisément dans ces présidentielles. Faire des prévisions, c'est donner des tendances historiques, mais pas la date précise. Par contre, c'est la perception montante de la délégitimation des élections par les grèves et l'ambiance générale qui peut réveiller et entraîner l'ensemble de la population. Ça s'était passé comme ça pour la grève générale de mai 1968, qui était un besoin de toute la période de 1963 à 1967, mais qui s'était cristallisée en conscience – en particulier chez les étudiants à l'époque en lutte contre une sorte de ParcoursSup - à partir du printemps 1967 quand les élections législatives de cette année-là avaient été bousculées par une vague de grèves, avec le sentiment que ces élections avaient été « volées ». A partir de là, les meetings politiques et syndicaux se sont remplis. Les gens voulaient prendre leur destin en main. C'est alors la énième journée d'action syndicale inutile du 13 mai 1968 et conçue comme un contre-feu à la montée en cours, qui va se transformer en événement déclencheur de la grève générale.

L'entrée du mouvement social dans la période électorale à venir rend tout possible.

Le résultat sera très différent selon que les grèves continuent pendant les élections ou pas, qu'elles gagnent ou pas. Les variations de cette pression ouvrière à ce moment peuvent faire si elle n'est pas assez importante que Macron gagne, ou tout au contraire, si elle est plus importante qu'il vole en éclat. Pécresse peut tout autant gagner ou s'écrouler. Zemmour, dont le sens de sa candidature est de diviser l'extrême droite afin d'éviter l'explosion sociale si l'extrême droite accédait au pouvoir, peut s'envoler, comme Le Pen, ou s'effondrer. Ou encore, élu, faire face à un soulèvement. Il peut y avoir une abstention massive ou une remontée significative de la participation au dernier moment. A partir de là, c'est l'inconnu et peut-être une percée soudaine de Mélenchon.

Enfin, si le mouvement social pèse trop sur le scrutin d'une manière ou d'une autre, les classes possédantes peuvent organiser des fraudes importantes pour faire élire Macron ou Pécresse ou aussi décider de reporter les élections au prétexte sanitaire par exemple. Ce qui entraînerait une colère populaire à caractère politique. Il peut y avoir cette même colère si Macron ou Pécresse sont élus de justesse avec une forte participation ou au contraire élus largement mais avec une forte abstention. Dans les deux cas, il peut y avoir le sentiment d'une élection « volée » comme au printemps 1967 ou délégitimée. Et donc à partir de là une agitation de plus en plus politique sur un fond de contestation sociale continue, et de plus en plus clairement, l'objectif de renverser le pouvoir par la rue si les élections ne le permettent pas.

Quoi qu'il en soit, la bourgeoisie n'a déjà plus de bonnes solutions dans ces élections, n'arrivant plus sous la pression prolétarienne à rendre audible son discours habituel contre les immigrés au point que ses candidats sont déjà contraints à parler de salaires. Tout est possible.

Jacques Chastaing, le 13 février 2022.

En complément tous les jours la rubrique Politique de la Revue de Presse Emancipation!

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