
Tout le monde attendait le 15 janvier 2022, date d'une première rencontre entre le SKM (coordination qui anime le mouvement paysan) et le gouvernement pour mettre en place le MSP (sorte de salaire minimum paysan) que le gouvernement avait promis ainsi que des indemnités pour les victimes des violences policières et l'amnistie pour ceux qui sont poursuivis en justice. Le SKM avait suspendu le mouvement paysan national jusqu'au 15 janvier après que le gouvernement ait annulé les lois anti-paysans en novembre puis après avoir promis, MSP, indemnisations et amnistie début décembre 2021.
Or, à part, l'annulation des lois anti-paysans, ce qui est très important mais ramène tout le monde au point de départ de la lutte, rien dans les promesses d'améliorations du sort des paysans n'a été tenu.
Aussi le SKM a-t-il annoncé qu'il donnait un ultimatum au gouvernement au 31 janvier et que si les promesses n'étaient pas tenues à cette date, il appellerait les paysans à reprendre la lutte à un niveau encore plus élevé que précédemment.
Le SKM a donc annoncé qu'il appellerait le 31 janvier à brûler en place publique dans tout le pays les effigies de Modi et ses ministres pour illustrer qu'on ne peut pas avoir confiance dans leur parole. Il lancerait une grande campagne à partir du 1er février pour faire perdre les élections au BJP (le parti gouvernemental) dans les Etats de l'Uttarakhand et de l'Uttar Pradesh qui ont lieu en février/mars et qui sont vitales pour la survie du BJP en tous cas en ce qui concerne l'Uttar Pradesh, le plus grand Etat de la fédération indienne et vitrine publique de sa politique d'Hindtusva (politique de ségrégation religieuse, de caste et de sexe) où une défaite aurait des répercussions nationales et annoncerait probablement la fin du BJP. Enfin, le SKM a renouvelé son appel à la grève nationale historique des confédérations syndicales ouvrières des 22 et 23 février.
Beaucoup de voix dans les rangs paysans s'étaient élevées contre la décision du SKM de suspende le mouvement alors en plein essor, devant des promesses d'un gouvernement qu'on sait habitué à ne pas les tenir. Et cela d'autant que l'obtention du MSP était quelque chose d'énorme vu que cela concernait des centaines de millions de paysans et ouvrirait la porte derrière eux aux mêmes revendications pour des centaines de millions de prolétaires sans aucune protection sociale. Il aurait certainement fallu que non seulement le BJP craigne de perdre le pouvoir (ce qui était possible) mais que la bourgeoisie indienne craigne elle-même une révolution populaire pour que tous deux accèdent véritablement à cette revendication. Ce qui était dans l'air notamment au travers des Mahapanchayat, structures de démocratie directe poussant à cela qu'avait mis au point le soulèvement paysan mais que dont le covid avait ralenti la multiplication. Cette marche vers la révolution nécessitait encore bien des pas en avant et des étapes à franchir notamment pas les dirigeants du mouvement.
Et concrètement, cela signifiait non pas suspendre la lutte, mais au contraire intensifier encore la mobilisation, appeler au combat commun les autres classes populaires, bref marcher vers la révolution. Certains dirigeants du SKM ont évoqué à plusieurs reprises cette orientation révolutionnaire. Mais c'est peut-être face à ce choix, que le SKM, globalement, a reculé. Il s'était en effet constitué pour faire aboutir de manière radicale des revendications paysannes mais n'avait certainement pas prévu pour cela de devoir aller jusqu'à la révolution. Le fait révélateur de cette hésitation, et peut-être d'une division en son sein, est notamment qu'en même temps que le SKM décidait de la suspension du mouvement, une partie de ses dirigeants ont fait le choix inverse, très institutionnel, de participer au jeu électoral traditionnel ( au Pendjab) dont on sait combien, en Inde en particulier, il est un moyen non pas d'accéder aux revendications mais de les enterrer en intégrant au système tous ceux qui se prêtent à ce jeu.
Face à ce choix de la marche vers la révolution, comment va évoluer le SKM et le mouvement paysan ? Les prochains jours vont répondre rapidement.
En complément tous les jours le dossier Soulèvement en Inde et la rubrique Asie/Océanie de la Revue de Presse Emancipation!
