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Ce document - à destination des militants et sympathisants d’Amnesty International France - s’inscrit dans le cadre du travail mené par Amnesty International sur la criminalisation des manifestants pacifiques en France.
Il s’appuie sur le rapport « Arrêtés pour avoir manifesté - la loi comme arme de répression des manifestants pacifiques en France » publié le 29 septembre 2020.
Ce document vise à apporter un éclairage sur la façon dont les autorités françaises utilisent des lois pénales - parfois contraires au Droit international - contre des manifestants pacifiques, entraînant une restriction de leurs droits, provoquant parfois des conséquences psychologiques traumatisantes pour les personnes et a un effet dissuasif sur le droit de manifester pour l’ensemble de la société.
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On parle de criminalisation des manifestants quand les autorités utilisent des lois pénales contre des manifestants pacifiques.
L’instrumentalisation qu’elles font du droit pénal - se traduisant par l’appui sur des lois très générales pour arrêter et poursuivre des manifestants pacifiques - est contraireau Droit international et restreint les droits des personnes. Et notamment le droit de manifester pacifiquement, liberté fondamentale qui ne devrait pas être passible de sanctions pénales.
La France utilise deux manières d’entraver le droit de manifester : les violences policières, que nous avons maintes fois documentées, et les arrestations de manifestants pacifiques, dont il est question ici.
Cette répression judiciaire à l’encontre de manifestants pacifiques peut être vécue comme une forme de harcèlement et d’intimidation afin d’empêcher l’exercice des droits humains.
De quelles lois parle-t-on ?
Les lois - contraires au Droit international - dont font usage les autorités françaises
Le délit de dissimulation de visage
Dans les textes (Droit français) : Il s’applique dans le cadre de manifestations où des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis.
Dans les faits : Il est utilisé pour arrêter des manifestants dans des contextes ne constituant pas nécessairement une menace à l’ordre public. Le risque d’atteinte à l’ordre public est d’ailleurs une notion assez vague et, dans les faits, les forces de l’ordre l’interprètent de manière très large. Cette loi est tout à fait disproportionnée par rapport à l’objectif que l’on cherche à atteindre. On peut vouloir se cacher le visage en manifestation pour de nombreuses raisons : parce qu’on ne veut pas passer à la télévision, pour se protéger des gaz lacrymogènes, pour dénoncer un positionnement ou exprimer une revendication...
Que dit le Droit international : L’interdiction de la dissimulation du visage dans le cadre de manifestations ne saurait être légale que si une personne se livre à un acte de violence ou démontre clairement son intention de le faire de manière imminente.
Les réunions doivent être présumées pacifiques et ne constituant pas une menace pour l’ordre public (justifiant ces mesures restrictives). Tout comme les personnes qui y participent doivent être également présumées pacifiques.
Le délit d’outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique
Dans les textes (Droit français) : Tout écrit, toute image ou toute parole qui porte atteinte à la dignité ou au respect dû à une fonction publique constitue un outrage
Dans les faits : Des manifestants ont été arrêtés, et parfois poursuivis, simplement pour avoir exprimé une opinion en critiquant des représentants du gouvernement ou des agents des forces de l’ordre. Acte qui relève pourtant de l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression.
Que dit le Droit international : Aucune forme d’expression - à l’exception de l’appel à la haine constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence - ne doit être érigée en infraction pénale, même s’il s’agit de propos choquants, offensants ou dérangeants. Ce droit à la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions, mais elles doivent être fixées par la loi et être proportionnelles et nécessaires pour atteindre un objectif légitime : respect des droits d’autrui ou protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques
Le défaut de déclaration de manifestation
Dans les textes (Droit français) : Les organisateurs de toute manifestation prévue sur la voie publique doivent en informer les autorités entre 3 et 15 jours à l’avance. Les organisateurs qui ne déclarent pas une manifestation auprès des autorités, qui organisent une manifestation ayant été interdite ou qui établissent délibérément une déclaration inexacte peuvent être tenus pénalement responsables et condamnés.
Dans les faits : La mise en œuvre de cette disposition est particulièrement problématique dans un contexte où de plus en plus de mouvements horizontaux, sans meneurs identifiés (comme les Gilets jaunes par ex.), choisissent de descendre dans la rue pour exprimer leurs revendications. Sur de simples présomptions des forces de l’ordre, des personnes ont ainsi été arbitrairement arrêtées car perçues comme organisatrices, quand bien même elles ne l’étaient pas.
Que dit le Droit international : L’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique ne doit pas être soumis à l’autorisation préalable des autorités.
Les États peuvent mettre en place un système de notification préalable, afin de faciliter l’exercice de ce droit et de prendre des mesures visant à protéger l’ordre et la sûreté publics. Mais la notification ne doit pas être obligatoire pour les réunions qui ne nécessitent aucune préparation préalable de la part des autorités de l’État (par exemple, si le nombre de participants prévu est faible).
De plus, les autorités doivent prévoir la possibilité de tenir des réunions spontanées sans notification préalable, par exemple en cas de réaction à un événement imprévu.
Les lois - non contraires au Droit international - mais dont l’utilisation de manière abusive peut poser problème au regard du Droit international
Le délit de groupement en vue de la préparation de violences
Dans les textes (Droit français) : Disposition introduite dans le Code pénal en 2010 pour lutter contre la violence organisée, notamment dans les banlieues. Elle a une visée préventive
Dans les faits : Les autorités ont arrêté et poursuivi des manifestants et manifestantes sans disposer du moindre élément permettant raisonnablement de penser que ces personnes étaient impliquées dans la préparation de violences.
Elles ont eu recours à cette disposition du Code pénal pour arrêter arbitrairement des manifestants avant même qu’ils ou elles participent à des rassemblements publics, les empêchant ainsi d’exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique.
La formulation vague de cette disposition et son imprécision a permis d’arrêter très largement des personnes qui possédaient des équipements de protection ou du matériel pour exprimer leur mécontentement... Ces éléments ne sont pourtant pas des preuves suffisantes d’une intention de commettre des violences.
Le recours massif à cette disposition a également permis aux forces de l’ordre d’arrêter des journalistes, des secouristes bénévoles et des observateurs et observatrices des droits humains.
Le délit d’attroupement
Dans les textes (Droit français) :
Pour la loi française, tout rassemblement public portant atteinte à l’ordre public ou seulement susceptible de troubler l'ordre public est considéré comme un attroupement (article 431-1 code pénal). La participation, même pacifique, à un rassemblement considéré comme un attroupement est un délit.
Pourtant, en Droit international, seuls des rassemblements troublant effectivement l’ordre public devraient être qualifiés d’attroupements et dispersés, et les manifestants pacifiques ne devraient pas faire l’objet de sanctions pénales pour avoir été dans un attroupement.
Dans les faits :
Des manifestations ont été considérées comme des attroupements par les autorités simplement car elles n’avaient pas été déclarées (et ont donc été considérées comme des menaces pour l’ordre public. Ces manifestations n’auraient pas dû être dispersées.
Dans d'autres cas, des manifestants pacifiques ont aussi été interpellés pour attroupement alors qu’ils n’avaient pas entendu les ordres de dispersion et ignoraient que le rassemblement où ils trouvaient, était considéré comme un attroupement.
Les amendes pour participation à un rassemblement interdit
Dans les textes (Droit français) :
Depuis un décret du 21 mars 2019, la participation d’une manifestation interdite expose à une amende de 135 euros.
Dans les faits :
Des personnes ont reçu des amendes alors qu’elles ne participaient pas à des manifestations, mais se trouvaient simplement dans une zone où il y avait une interdiction. D'autres ont été verbalisées alors qu’elles manifestaient mais n’étaient pas au courant que c’était interdit. Alors même, rappelons-le, qu’une manifestation non-déclarée ne devrait pas être considérée comme interdite.
Par ailleurs, dans de nombreux cas, les autorités ont adopté des interdictions de manifester trop larges, et donc incompatible avec le Droit international. En effet, une interdiction de manifester doit être strictement nécessaire et proportionnée, car manifester est un droit fondamental.
Interdire toutes les semaines les manifestations dans le centre-ville, sans apporter d’éléments spécifiques pour justifier cette décision, est une interdiction disproportionnée.
Prenons l’exemple de l’interdiction générale de toutes les manifestations du fait de la pandémie de Covid-19. Cette mesure est aussi disproportionnée ; on peut, en effet prendre des mesures moins contraignantes : exiger le respect de gestes barrières, la distanciation, le port du masque... La France avait interdit de manière générale les manifestations après le 1er confinement en 2020, et cela avait été jugé contraire aux droits fondamentaux par le Conseil d’Etat, qui avait alors censuré cette interdiction.
Les manifestants ne devraient pas recevoir d’amendes s’ils n’ont pas été informés de l’interdiction, ou si l'interdiction de manifester est non-nécessaire ou disproportionnée.
Les conséquences de l’utilisation de ces lois, qui peuvent avoir un effet dissuasif et entraver de fait le droit de manifester
Les arrestations et gardes à vues arbitraires
Dans les textes (Droit français) : Une personne peut être placée en garde à vue lorsqu’il existe une raison plausible de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit.
Dans les faits : Les autorités ont placé en garde à vue certains manifestants, secouristes bénévoles et observateurs des droits humains sans motif tangible permettant raisonnablement de soupçonner qu’ils étaient impliqués dans la préparation de violences ou de toute autre infraction. Certaines ont également été placées en garde à vue pour des délits qui ne sont pas conformes au droit international, tels que la dissimulation de visage.
Selon le Droit international, une personne ne peut être privée de liberté que dans des circonstances spécifiques, à savoir si elle est arrêtée ou placée en détention pour des raisons prévues par la loi et de manière non arbitraire.
NDLR : possibilité d’être placé en garde à vue lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’on a commis une infraction.
L’un des objectifs de la garde à vue est d’empêcher la commission d’une infraction. En ce cas, la garde à vue ne peut pas intervenir si aucun élément ne permet raisonnablement de soupçonner que la personne concernée est impliquée dans une infraction.
Le contrôle judiciaire
Dans les textes (Droit français) : Les juges peuvent ordonner des mesures de substitution à la détention, comme le contrôle judiciaire, aux personnes soupçonnées d’une infraction dans l’attente de leur procès, pour y garantir leur présence notamment.
Ces mesures doivent être prévues par la loi, nécessaires et proportionnées.
Parmi les obligations du contrôle judiciaire, figure la restriction du droit de circuler librement : il peut s’agir de l’interdiction de sortir de limites territoriales déterminées ou de l’interdiction de se rendre en certains lieux.
Dans les faits : Les autorités judiciaires ont imposé des obligations de contrôle judiciaire à des personnes, dans l’attente de leur procès, qui leur interdisait de manifester ou qui limitait leur droit de circuler librement.
Or, ces obligations de contrôle judiciaire n’étaient pas nécessaires pour garantir la présence des personnes poursuivies à leur procès.
D’une part, les autorités disposent d’autres conditions de contrôle judiciaire moins liberticides, comme l’obligation de se présenter périodiquement à un poste de police.
Les obligations du contrôle judiciaire, qui équivalent à une interdiction générale de participer à des manifestations, constituent dans les faits une restriction du droit à la liberté de réunion pacifique.
Le rappel à la loi
Dans les textes (Droit français) :
Le rappel à la loi est une mesure dite “alternative aux poursuites”: le procureur vous considère coupable d’un délit mais décidera de ne pas engager de poursuites et de simplement vous rappeler la loi.
Ces rappels à la loi peuvent aussi être assortis d’une interdiction de se rendre dans certains lieux pendant une période donnée ou d’une interdiction de manifester (également sur un temps spécifique).
Un rappel à la loi sera inscrit au fichier des antécédents judiciaire et suspend la prescription pour le délit concerné.
Dans les faits :
Des manifestants, qui n’avaient commis aucune violence, ont reçu des rappels à la loi, parfois dans des cas où il n’y avait aucun élément solide permettant d’établir qu’ils avaient commis un acte illégal (par ex. La préparation de violences). Et parfois, pour des actions qui ne devraient pas être sanctionnées, au regard du Droit international.
Ces rappels à la loi ne sont pas anodins : ils constituent un antécédent judiciaire et peuvent être assortis d’interdictions (cf. plus haut). Pour certains manifestants, ils sont une forme d’épée de Damoclès qui les dissuade de retourner manifester, alors même qu’ils n’ont pas commis d’acte illégal.
C’est d’autant plus problématique qu’ils ne permettent pas de défendre son cas devant un magistrat en ce qu’ils ne peuvent faire l’objet d'aucun recours.
Quelles atteintes aux droits ?
Droit à la liberté de réunion pacifique
Article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques. 2. Nul ne peut être obligé de faire partie d'une association »
Article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)
« Le droit de réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui. »
Article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts.
2. Les partis politiques au niveau de l'Union contribuent à l'expression de la volonté politique des citoyens de l'Union. »
Article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
Droit à la liberté de circulation
Article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)
« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. »
Article 2 du protocole additionnel n° 4 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)
« Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un État a droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.
L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique. »
Droit à la liberté d’expression
Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)
« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »
Article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. Le droit à l'objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l'exercice. »
Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Quelles conséquences sur les personnes ?
Les arrestations et les poursuites arbitraires ont profondément affecté les manifestants.
Certaines personnes, notamment celles qui étaient en instance de jugement et qui ont subi l’angoisse de l’attente, ont confié à Amnesty International qu’elles étaient angoissées depuis leur garde à vue.
De nombreuses personnes interrogées ont déclaré qu’elles y réfléchissaient désormais à deux fois avant d’aller manifester, qu’elles participaient moins souvent à des manifestations ou qu’elles évitaient les grands rassemblements. Certaines ont décidé de ne plus du tout manifester par crainte d’être de nouveau arrêtées ou poursuivies de manière arbitraire.
Et même pour les cas où il n’y a pas de poursuites, le fait d’avoir passé des heures en garde à vue a été une expérience traumatisante pour les personnes.
Par ailleurs, l’association de manifestants pacifiques à des étiquettes de personnes violentes sont autant de marqueurs négatifs dans l’identité des personnes qui s’y voient réduites. Cette réduction sociale, accompagnée de leur criminalisation, créent un fort sentiment d’insécurité chez les personnes incriminées
Quelles conséquences sur la société et la démocratie ?
L’impact peut sembler évident sur les personnes ou groupes de personnes directement visées par les autorités, mais il existe aussi sur tous les individus qui en sont spectateurs, impliquant ainsi des conséquences sur la société dans son ensemble.
Les arrestations et poursuites arbitraires ont porté un coup au droit à la liberté de réunion pacifique en France. Ces pratiques des autorités sont évidemment lourdes de conséquences pour le droit de manifester et le droit à la liberté d’expression, dans un pays dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Les médias, en véhiculant massivement des images de manifestants violents, participent à la diffusion de l’idée qu’aller manifester aujourd’hui, c’est se rendre coupable d’actes violents. Les autorités, en criminalisant de manière arbitraire les personnes se rendant à des manifestations, alimentent cette dynamique, et véhiculent également l’idée qu’en allant manifester, on peut être interpellés et traduits en justice.
Ces pratiques - en plus de créer un effet dissuasif sur les personnes souhaitant se rendre en manifestation pour revendiquer leurs opinions - entraînent dans une autre partie de la population, un effet de désolidarisation avec les manifestants et leurs revendications, quelles qu’elles soient. L’acte de manifester n’est plus perçu comme l’exercice d’un droit au « débat public ouvert, où les intérêts de tous sont pris en compte et où chacun dispose d’une voix et de l’assurance qu’elle sera entendue ». Il devient à présent dangereux de manifester.
Alors même qu’il est essentiel, pour la population, de pouvoir d’avoir le droit de participer à des mouvements sociaux, d’assister à des rassemblements pacifiques et d’agir collectivement, non seulement pour exprimer son désaccord avec les politiques publiques et les pratiques de l’État, mais aussi pour lutter contre l’injustice et exiger le respect des droits humains.
Les manifestations et les actions collectives font partie de la culture politique française depuis des siècles. Pourtant, aujourd’hui, non seulement les personnes qui participent à des manifestations en France s’exposent au gaz lacrymogène, aux balles de défense et à d’autres armes dangereuses, mais en plus elles risquent d’être maintenues en garde à vue pendant un ou deux jours et peuvent faire l’objet de poursuites pénales, même lorsqu’elles n’ont commis aucune violence.
Recommandations d’Amnesty International
Amnesty International demande au Parlement français de revoir les dispositions concernant le droit à la liberté de réunion pacifique pour les mettre en conformité avec le Droit international et les normes en la matière.
Les principales recommandations qu’Amnesty International adresse aux autorités françaises sont les suivantes :
• Les autorités françaises doivent cesser de criminaliser les manifestants et les manifestantes qui n’ont pas commis de violences. Nul ne doit être placé en garde à vue ni poursuivi en l’absence de soupçons raisonnables de participation à des violences. Toutes les charges pesant sur des manifestants non violents doivent être abandonnées.
• Les autorités françaises doivent immédiatement abroger toutes les dispositions pénales contraires au droit international relatif aux droits humains portant sur le droit à la liberté de réunion pacifique. L’organisation d’une manifestation non déclarée et l’outrage à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique ne doivent pas être considérés comme des infractions pénales. Le Parlement doit également adopter une loi réduisant le champ d’application de l’interdiction de la dissimulation du visage lors d’une manifestation.
• Les forces de l’ordre et les autorités judiciaires doivent cesser de recourir à la disposition incriminant la participation à un groupement en vue de la préparation de violences (Article 222-14-2 du Code pénal) pour arrêter et poursuivre arbitrairement des manifestants. Le Parlement doit modifier cette disposition de manière à préciser que seules les personnes participant activement à la préparation de violences en groupe peuvent faire l’objet de poursuites pénales.
En complément tous les jours la rubrique Leur Etat de la nouvelle Revue de Presse Emancipation!