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Billet de blog 19 avril 2022

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Des dangers du commensalisme - par Jean Casanova

Mine Derrien, politologue, membre du CEVIPOF et directrice du Laboratoire de recherche de zoo-politologie et de politologie agro- environnementale, a bien voulu répondre à nos interrogations quant à cette forme particulière de commensalisme complaisamment étalée sous nos yeux, rebondissement d’une relation fructueuse entamée il y a maintenant cinq ans.

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Un commensal (du latin cum, avec, et mensa, la table) est une personne qui mange à la même table que vous, que vous l’ayez invitée ou non, cela n’a pas d’importance. Encore que, mais nous allons y venir.

Le commensalisme, terme plus général, désigne une relation, provisoire ou définitive – cela a son importance dans l’affaire qui nous occupe – relation provisoire ou définitive, et, c’est l’essentiel, bénéfique pour au moins l’un des deux partenaires.

En cela, le commensalisme diffère du parasitisme qui, s’il est bénéfique pour l’un est souvent nuisible pour l’autre.

Initialement théorisé par les zoologistes pour désigner l’interrelation bénéfique entre espèces animales, le commensalisme se voit souvent donner comme exemple la relation de certains crabes, les pinnothères, avec la moule.

Mais attention, l’interrelation est bénéfique entre les deux espèces jusqu’au moment où, la nourriture venant à manquer, ils deviennent alors parasites, le pinnothère dévorant le manteau de la moule. La chose est également à retenir dans l’affaire qui nous occupe. Nous verrons ceci plus loin.

Pinnotheres pisum Pinnotheres et muscula

Le commensalisme peut aussi emprunter d’autres formes, non plus liées directement à la nutrition, mais au transport, comme la phorésie qui désigne l’interaction particulière entre deux organismes où l’un est transporté par l’autre, les sources de nourriture de l’un et de l’autre restant indépendantes. Ainsi le rémora, transporté par le requin.

Nous vous le disions à l’instant, initialement théorisé par les zoologistes, le concept de commensalisme est maintenant volontiers utilisé en politologie pour désigner les bénéfices mutuels que peuvent attendre deux partenaires, nous allions dire adversaires, de cette interrelation, ceci même si celle-ci est ostensiblement désignée au bon peuple comme belliqueuse.

Mine Derrien, politologue, membre du CEVIPOF (Centre d’Études de la Vie Politique Française), et directrice du Laboratoire de recherche de zoo-politologie et de politologie agro- environnementale, a bien voulu répondre à nos interrogations quant à cette forme particulière de commensalisme complaisamment étalée sous nos yeux, rebondissement d’une relation fructueuse déjà entamée il y a maintenant cinq ans.

Bonjour Mine Derrien, en politologue avertie, rangeriez-vous cette relation si particulière dans le cadre du commensalisme ?

Tout à fait, cher ami. La chose est claire. Nous sommes là devant une relation mutuellement fructueuse pour les deux espèces dans leur quête nutritionnelle et électorale.

Pensez-vous Mine Derrien qu’une élection bien particulière, celle d’une assemblée de parlementaires européens comme en 2019, c’est à cette date, souvenez-vous, qu’elle avait été la plus complaisamment étalée sous nos yeux, pensez-vous qu'aujourd'hui, dans le cadre de deuxième tour d'une élection présidentielle, celle-ci puisse se prêter facilement à ce type de mise en scène, disons-le, largement hystérisée – qui l’emportera de l’un sur l’autre – alors que l’offre électorale avait, au premier tour, porté sur douze candidats ?

Oui, tout à fait. C’est même le cadre idéal. L’affaire est fructueuse pour les deux partenaires. Je m’en explique. Le message envoyé est triple :

  • -  à l’électorat du macrobate-saltimbanquier, électorat quelque peu échaudé et désorienté, on le comprend – ISF et CSG sont passés par là – l’injonction est claire et nette : face à la « lèpre populiste », vote utile et obligatoire.

  • -  à tous les autres, mais surtout à l’immense et composite peuple de la Droite : le vote utile, c’est le vote RN. Si vous voulez voter contre moi, c’est RN qu’il faut voter ! Fracturer la Droite avec le RN, voilà l’objectif. Certains avaient parlé de fracturation hydraulique. Pour ma part et dans ce cas précis, je parlerai de fracturation lepénique.

  • -  à l’électorat RN, coup de pouce final d’encouragement dans les derniers jours d’avant scrutin : je suis votre vrai adversaire. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

  • -  à l’électorat de la Gauche radicale, c’est l’injonction : « Vous n’allez tout de même pas laisser faire ça. »

    Le pyromane se faisant pompier. Vous jugerez probablement assez cruelle cette présentation de la chose, mais ce qui réunit nos deux figures commensales est vraiment capital.

Retranchons, je vous le concède, l’affection qui n’a rien à voir dans cette affaire.

Merci Mine Derrien pour cet éclairage savant de politologue. Mais à votre avis, cette relation commensale peut-elle perdurer et se poursuivre au-delà du scrutin présidentiel ?

Tout, cher ami, dans la Ve République, tend à organiser la lutte pour le pouvoir dans une composition bipartidaire. Notamment le primat de l’élection présidentielle sur toutes les autres.

C’est bien là, tout à la fois, le fondement et l’objectif de ce type de commensalisme.

Pour y mettre un terme, une refondation de nos Institutions serait nécessaire. Par exemple, par l’appel à l’élection d’une Assemblée Constituante.

Car attention, comme dans votre exemple zoologique, celui du crabe-pinnothère et de la moule, la chose pourrait brutalement basculer dans une autre relation, celle où le crabe dévore la moule.

Toute la question est là : réélu ou reconduit ?

En complément tous les jours la rubrique Politique de la Revue de Presse Emancipation!

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