18 mai 2021 - Laurence Mazure

Manifestation anti-gouvernement à Bogota, mardi 18 mai. KEYSTONE
Lundi soir, alors que la Colombie espérait des avancées en matière de négociations entre le Comité national de grève et le gouvernement colombien, le président Ivan Duque a coupé court à l’attente en ordonnant la militarisation du pays. Invoquant les pertes économiques engendrées par les barrages, il a décrété «le déploiement de toute la Force publique pour débloquer toutes les voies de communication».
Le président s’est aussi justifié par le fait que les barrages mettaient en péril l’alimentation et l’accès aux services de santé, mais pas une seule fois il n’a fait allusion aux violences documentées depuis le début de la grève générale et perpétrées par la force publique. Pas une seule fois non plus a-t-il mentionné l’existence sur de nombreux points de blocage de corridors humanitaires.
«Guerre à la grève»
Le Comité de grève a immédiatement condamné cette décision qui stoppe net des négociations à peine esquissées depuis dimanche 16 mai: «Le président déclare la guerre à la grève.»
Pourtant, à l’ouverture de la rencontre dimanche, le Comité, fort de sa légitimité avec un soutien populaire de 70%, avait fait connaître une liste de dix-neuf points posant ses conditions aux négociations.
Pour en comprendre les enjeux, il faut rappeler quelques points essentiels: le Comité demandait le retrait de l’armée et des anti-émeutes des lieux de manifestation, et l’ordre de ne pas utiliser d’armes anti-émeutes pouvant entrainer la mort. Il était demandé au président Duque, en tant que chef d’Etat et commandant des forces armées, qu’il condamne explicitement les abus commis au cours des trois dernières semaines par la force publique et dénoncés par la communauté internationale, et qu’il s’engage à ce que les auteurs soient dûment sanctionnés. Un autre point demandait aux autorités de ne plus tenir de propos stigmatisant les manifestant·es comme autant de «délinquants», et de «terroristes».
Les demandes avaient aussi d’autres destinataires: ces milliers de jeunes qui sont victimes de violences, viols, disparitions forcées et assassinats, notamment dans le sud-ouest du pays comme à Cali, Buga, Jamundi, et qui avaient déclaré ne pas se sentir représenté·es par le Comité de grève. Avec ce document le Comité montrait, bien au contraire, qu’il considérait les garanties à leurs mobilisations comme autant de conditions préalables aux négociations portant sur l’agenda plus économique et législatif daté du 3 mai. A tous ces points s’articulaient une série de mesures permettant un monitoring international, notamment une visite de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
Etat en position de faiblesse
Les institutions qui exercent le contrôle de l’Etat – parquet, défenseur du peuple et procureur de la fonction publique – étant gravement discréditées à la suite de la nomination, à leur tête, de personnes proches du président Duque et de l’uribisme, il était aussi demandé la création d’un parquet spécial destiné à juger plus impartialement les exactions commises durant la grève générale.
Cela n’aura pas lieu.
Durant la nuit ayant suivi l’annonce de la militarisation du pays, de nombreuses villes et localités plus rurales ont connu des confrontations entre manifestants et police, dont Yumbo, banlieue industrielle de Cali, touchée par plusieurs explosions, et où il y a eu deux morts et plus de trente blessés. Dans le Huila, la mairie de La Plata, a été incendiée, tandis que la capitale régionale, Neiva, a vu plusieurs institutions ciblées par les protestataires. Au matin, de nombreux barrages étaient en place: dans le sud-ouest de Bogotá, au terminal de transport «Las Américas», tandis qu’une mobilisation de plusieurs milliers d’Amérindien·nes arrivait à Medellin. A l’aube, on signalait quatorze points de blocages à Cali, et une vingtaine pour toute la région du Valle.
Une nouvelle journée de mobilisation est prévue ce mercredi 19 mai à travers tout le pays.
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