
Source: aplutsoc
Ce mardi 27 décembre 2021, s’est produite la défaite morale définitive de ceux qui se prennent pour des vainqueurs mais qui craignent plus que tout l’histoire et la vérité. La Cour suprême russe a prononcé la dissolution de Mémorial. Le procès avait été mis en place début novembre dernier, après des interventions publiques directes du président Poutine, ainsi que du patriarche orthodoxe Kyril.
Pétition contre cette dissolution.
Le motif « juridique » de l’accusation était que Mémorial, déjà sommé par la loi de s’afficher systématiquement comme « organisation liée à l’étranger », avait parfois omis dans des publications légales de se soumettre à cette « obligation ». Bien entendu, ces subtilités ont disparu à l’audience comme elles avaient déjà disparu dans les déclarations du pouvoir et du patriarcat : Mémorial, mais ce sont des agents de l’étranger, voyons !
Ce mardi, dans son « réquisitoire », le procureur Alexeï Jafiarov a précisé : « Il est évident que Mémorial, en spéculant sur le thème des répressions politiques au XXe siècle, crée une image mensongère de l’URSS comme État terroriste, blanchit et réhabilite les criminels nazis qui ont sur les mains le sang de citoyens soviétiques. »
Cette phrase-clef situe très précisément la nature de la tentative politique, mémorielle et antihistorique désespérée de l’État poutinien et de ses agents. La mémoire officielle de cet État est « rouge-blanche », c’est-à-dire blanche utilisant le rouge stalinien (en Occident, on dit « rouge-brun »). Elle revendique une continuité réelle, celle des tsars et de Staline. L’appareil d’État, comme sous Brejnev voire plus encore, a pour cœur les « organes », le FSB, ancien KGB. L’accumulation du capital, démarrée sous le nom de « collectivisation », a aujourd’hui pris la forme d’un capital oligarchique lié à l’État, réalisant sa plus-value par l’exportation des matières premières et énergétiques. L’idéologie d’État du régime Poutine manifeste une continuité profonde avec la façon dont évoluait l’idéologie d’État du régime de Staline dans ses dernières années, avec cet avantage, pour elle, d’être totalement libre de rejeter Octobre 17. L’histoire officielle, ce sont les tsars et Staline, le blanc et le faux rouge, y compris son pacte avec Hitler assumé à 200%.
Donc, dire la vérité sur le temps de Staline, c’est être avec les nazis. Voilà la petite doxa d’un certains nombres d’idiots utiles, parfois rétribués, dans le monde entier, qu’il convient de signaler comme tels lorsqu’ils pourrissent encore le mouvement ouvrier. Tel est le sens de mon article sur le prétendu Vol de Piatakov, dont la source est la même que les propos du procureur Jafiarov. Et notamment de l’analyse faite des parties de cet ouvrage dans lesquelles la calomnie stalinienne et la calomnie réactionnaire « classique » contre 1917 commencent à se rejoindre, autour par exemple du prétendu « wagon blindé » de Lénine. Cette convergence est celle-là même qu’opèrent les Poutine, les Kyril et les Jafiarov : « nazis », ceux qui disent la vérité sur Staline, « nazie », la nation ukrainienne, mais chauvinisme, antisémitisme et haine éternelle à la révolution de 1917 !
L’interdiction de Mémorial peut sembler annoncer un crépuscule en Russie. Comme cet autre « jugement » inique visant l’historien Iouri Dmitriev, membre de Mémorial, qui a mis à jour un charnier de l’ère stalinienne en Carélie, de 7000 victimes. Harcelé depuis des années, il vient d’être condamné à 15 ans de prison pour … « pédopornographie » : ils ont détourné des photos qu’il avait envoyées aux services de la protection de l’enfance, de sa fille adoptive handicapée …
Ces faits ne doivent pas être séparés des concentrations de troupes à la frontières russo-ukrainienne et en Crimée annexée, qui rendent techniquement possible une attaque militaire de l’Ukraine très prochainement. Cela ne veut pas dire qu’elle aura lieu, mais ceci participe d’une sorte de fuite en avant – de passage de la démocrature au totalitarisme ?
Mémorial est une organisation profondément, viscéralement, russe. L’ « étranger », ce serait plutôt la triste figure d’un procureur Jafiarov, qui symbolise si bien les imitations grotesques de la Prusse d’un côté, et de Gengis Khan de l’autre, qui ont tant nourri les tsars et Staline pour qui le peuple russe était une matière hostile et rétive, à punir et à remodeler. La défaite morale du pouvoir de Poutine conduit à interdire ouvertement Mémorial, est un crachat à la figure de l’identité russe, et vise le principal acquis des mouvements démocratique de masse des années 1987-1993, avec le syndicalisme indépendant.
Oui, défaite morale il y a, même si les coupables ne s’en rendent pas forcément compte, ce qui n’a pas grande importance. Car le roi est de plus en plus nu, ce qui le rend dangereux. Le mouvement ouvrier et les aspirations démocratiques en Russie, en Ukraine, en Bélarus, doivent plus que jamais être au cœur de nos attentions.
Quant à Mémorial, ce mardi 27 décembre n’en signe absolument pas la mort. « Les vengeances de l’histoire sont plus fortes que tous les secrétaires généraux » (Trotsky).
A. Jafiarov :

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