par Jacques Chastaing
La presse française qui ne relaie jamais les mobilisations populaires en Asie, à commencer par celle des paysans indiens qui a duré plus d'un an et qui dure encore, pas plus que celle des travailleurs et pauvres du Sri Lanka qui ont commencé en 2018 pour prendre de l'ampleur ces derniers mois, ni non plus celles des classes populaires Pakistanaises qui dure depuis un an et demi sans interruption, vient de découvrir que le gouvernement pakistanais militaro-islamiste d'Imran Khan pourrait bien tomber dans les jours qui viennent. Et bien sûr, elle attribue cette chute possible à une motion de censure posée par plusieurs partis de l'opposition qui devrait être soumise au vote début avril et à l'abandon du gouvernement par l'armée suite à une brouille interne pour la nomination du chef des services secrets, mais pas du tout à l'énorme mobilisation populaire que cette presse ne veut ni voir ni montrer, au cas où ça donnerait des espoirs aux pauvres ici et ailleurs dans le monde
Or s'il y a bien d'une part une motion de censure déposée par les partis bourgeois d'opposition qui pourrait être le prétexte de la chute du gouvernement et d'autre part si l'armée a bien l'air d'avoir lâché le pouvoir en place, cette fragilisation du pouvoir est essentiellement due à l'immense mobilisation des classes populaires pakistanaises qui dure sans discontinuer depuis l'automne 2020 - en même temps que commençait le soulèvement paysan indien -. Au travers de multiples grèves et des manifestations massives et déterminées accompagnées d'affrontements continus avec les forces de l'ordre, contre la hausse des prix et le blocage des salaires, contre les licenciements, contre les privatisations du secteur public, contre la destruction des minces acquis sociaux et démocratiques, les travailleurs pakistanais ont réussi à entraîner toute la population contre ce gouvernement des riches d'Imran Khan, un populiste qui s'appuyait non seulement sur la répression, les limitations aux droits d'expression, de grève et de manifestation mais aussi sur le conservatisme religieux le plus violent alors que lui-même était un noceur patenté.
Les journaux français qui ne cessent à longueur d'année de présenter le peuple pakistanais comme soumis à la religion, sont gênés de voir un peuple qui en fait se soulève contre un pouvoir religieux, souvent avec des luttes animées par des organisations qui se réclament du marxisme. C'est par exemple le cas au Baloutchistan (une des quatre provinces du pays), une des régions les plus combatives du pays, qui a non seulement chassé les Talibans de sa région et ambitionne aussi d'en libérer l'Afghanistan mais a également mené ces derniers mois des luttes sociales d'importance qui ont fait reculer le pouvoir, comme encore ces derniers jours, où les fonctionnaires viennent d'obtenir une hausse de leurs salaires de 15%.
Craignant ces mobilisations populaires massives tout autant que le pouvoir, les partis bourgeois d'opposition, principalement PPP et PMLN associés à un parti religieux musulman - qui ont été au pouvoir avant Imran Khan et y ont mené la même politique que lui -, ont décidé de s'unir dans un mouvement commun, le PDM, pour chevaucher la colère populaire et tenter d'en prendre la tête plutôt que de s'y opposer. Sous la pression de multiples grèves et de marches ouvrières menaçantes sur la capitale, à l'hiver 2020-2021, le PDM décidait par démagogie d'organiser des "longues marches" populaires jusqu'à la capitale Islamabad pour faire tomber le régime par la rue. Mais devant l'énorme succès de l'initiative, le PDM s'affolait lui-même de ce qu'il avait initié et renonçait soudain à la marche à mi chemin de la capitale, éclatait en plusieurs morceaux et se ridiculisait totalement.
Cependant, la colère populaire continuant et la base reprenant à nouveau l'initiative, avec notamment une marche de paysans sur la capitale, les partis bourgeois reprenaient à nouveau à l'automne 2021, les "longues marches" sur Islamabad pour renverser le régime afin surtout de ne pas en laisser l'initiative aux travailleurs et sauver le système. Là encore, mais peut-être à un niveau moindre qu'un an auparavant, bien des gens ayant été échaudés, les classes populaires ont quand même répondues présent et ces marches ont été de nouveaux succès mobilisant des centaines de milliers de personnes dans le pays. A la différence de 2020-2021 celles de 2021-2022 ont été menées de son côté par chacun des grands partis de l'opposition, du coup plus trop unie. Il y a eu celle du PPP, qui s'est menée du 27 février au 9 mars, puis celles du PMLN et celle du parti religieux qui ont abouti à Islamabad le 27 et 28 mars. Les différents partis avaient annoncés que les marches populaires feraient le siège du Parlement jusqu'à ce que le gouvernement démissionne. Mais en même temps, le PPP et le PMLN déposaient une motion de censure le 9 mars pour faire tomber le gouvernement par voie parlementaire mais aussi offrir une porte de sortie à l'armée et à l'appareil d'Etat afin d'éviter l'insurrection populaire qui menaçait, tout changer sans que rien ne change. Devant l'énorme mobilisation des marches populaires et le danger révolutionnaire qu'elles représentent, l'armée a alors décidé de se mettre en retrait et de ne plus soutenir le gouvernement (en prenant langue apparemment aussi avec l'opposition) tandis que des députés du PTI (le parti au pouvoir) démissionnaient et que des alliés du PTI rompaient leur alliance, rendant tout à fait possible le succès de la motion de censure et donc la chute du gouvernement par des voies légales début avril. Voyant ça, l'opposition, congédiait alors le 29 mars au soir les classes populaires rassemblée à Islamabad depuis le 27 mars en annonçant que l'affaire était faite, que le gouvernement allait tomber immanquablement début avril et que ce n'était pas la peine de rester plus longtemps dans la capitale.
Une entourloupe afin d'avoir les mains libres pour ensuite une fois au pouvoir tenter de mener la même politique qu'Imran Khan. Sauf que ce gouvernement sera quand même tombé sous la pression et la mobilisation des classes populaires, que le peuple le sait, connaît maintenant sa force, qu'il s'en souviendra pour le prochain gouvernement et n'hésitera pas à s'en servir pour qu'il tienne ses promesses parce qu'il en a fait beaucoup.
Il y a le même processus de mobilisation populaire au Sri Lanka avec de nombreuses et importantes grèves pour des hausses de salaires, une mobilisation paysanne de masse depuis des mois et des mois qui vient d'organiser une marche sur la capitale Colombo le 29 mars et qui a appelé à renverser le pouvoir militaire. A côté de cela, deux partis tentent de prendre la tête du mouvement en cours, le JVP d'obédience marxiste et le SJB parti d'opposition bourgeoise, sans y arriver autant qu'au Pakistan, mais en multipliant les marches et les manifestations de masse en mars 2022, notamment contre la hausse des prix. Là aussi , comme au Pakistan, le régime bien que dictatorial est fortement ébranlé, et une concurrence a cours entre d'un côté les forces bourgeoises d'opposition et les forces populaires pour prendre la tête du mouvement.
En Inde enfin, la colère populaire est aussi énorme contre le régime de droite extrême de Modi qui détruit toutes les lois ouvrières, tous les services publics, toutes les liberté en attisant les haines entre les religions, les castes et les sexes, mais à la différence du Pakistan et du Sri Lanka, c'est un mouvement populaire d'en bas, celui des petits paysans, qui a su unifier toutes les colères pour en faire un vaste mouvement paysan et ouvrier qui dure depuis plus d'un an et qui a résussi à faire reculer le pouvoirn à l'affaiblir considérablement et probablement à mettre en routes les classes populaires du Pakistan et du Sri Lanka. Les partis bourgeois d'opposition sont complètement largués. Mais le pays est bien plus grand et c'est plus difficile d'y mener un mouvement d'ensemble, il faut du temps, mais le processsus pour renverser le pouvoir par la rue et construire une société meilleure est en cours. Les 28 et 29 mars 2022, sous la pression paysanne et ouvrière, a eu lieu une grève générale qui a mobilisé plus de 200 millions d'ouvriers et des dizaines de millions de paysans, une grève historique associant pour la première fois paysans et ouvriers et une grève qui doit déboucher sur une nouvelle mobilisation paysanne d'une semaine du 11 au 17 avril.
Tout n'est pas fait, mais le processus révolutionnaire est en cours dans la majeure partie de l'Asie du sud, les événements d'un pays renforçant ceux d'un autre. L'ébranlement de cette partie du globe bouleversera le reste du monde. La chute d'Imran Kan au Pakistan n'est pas un événement secondaire et fortuit, il renforcera les luttes au Sri Lanka et en Inde, c'est un maillon d'une chaîne de dictateurs qui se casse sous une pression populaire qui agite actuellement le monde entier.
Jacques Chastaing 30.03.2022
Photo d'un rassemblement de la "longue marche" au Pakistan le 20 décembre 2020. Une mobilisation actuelle qui remonte à loin

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