Liberté, égalité, fraternité : telle est la devise de la république française, affichée sur les frontons de tous nos bâtiments publics, répétée à l'envie par nos dirigeants, quand bien même ils la bafouent allègrement par les politiques qu’ils mènent, les décisions qu'ils prennent, les lois qu'ils font passer.
Trop souvent galvaudée, cette triple affirmation héritée de la révolution française nous apparaît comme une évidence. Pourtant, à y regarder de plus près, est-ce si évident ? Car si de nos jours, dans nos “démocraties” occidentales, la liberté apparaît comme un principe fondamental (liberté d'expression, liberté d'entreprendre, liberté de circuler…) qu'en est-il de l'égalité et de la fraternité, dont on a l'impression qu'elles passent souvent au second plan quand elles ne sont pas tout bonnement abandonnées au profit de la seule liberté ? En matière d'économie, l'idéologie dominante, le libéralisme, place d'ailleurs cette liberté, au sens de liberté d’entreprendre, de commercer, au dessus de tout le reste. On en voit les résultats : abolition des frontières avec la libre circulation des biens et des personnes au sein de la communauté européenne, dérégulation de la finance avec toutes les dérives qui s’en suivent, ouverture à la concurrence de certains secteurs de l'économie, qui auparavant étaient sous le contrôle et la protection de l'état, traités de libre échange sujets à de nombreuses controverses, etc… Pourtant, si Liberté est suivie d'Égalité et de Fraternité, ça ne doit pas être le fruit du hasard. Car si la liberté est un bien précieux qu'il convient de chérir, ne doit-elle pas faire l'objet de certaines restrictions, dans la mesure où nous ne vivons pas seuls, chacun sur son île déserte mais que nous évoluons à l’intérieur d’une société où nos actes, nos comportements, ont un impact sur nos concitoyens ? Ainsi, n'enseigne t-on pas à nos enfants que notre liberté s'arrête là où commence celle d'autrui ? A titre d’exemple, si la liberté de s'enrichir d'un petit nombre d'individus doit nuire au plus grand nombre, ne devrait on pas y imposer des limites ? Que vaut cette liberté si elle fait obstacle à l'égalité, l'égalité des chances pour nos enfants, l'égalité de tous devant la loi ? Car s'il est vrai que nous sommes inégaux, ne serait-ce que par nos prédispositions génétiques à contracter telle ou telle maladie, la différence des sexes, notre apparence physique, nos préférences sexuelles, etc… n'est ce pas, dans ce cas, le devoir de la république et de ceux qui l'incarnent de veiller à en limiter l'impact, notamment pour les plus faibles, ceux qui sont les moins bien armés pour démarrer dans la vie ou s’en sortir par la suite ? Et c'est là qu'intervient la fraternité. Car c'est, me semble t-il, par la fraternité que ces inégalités peuvent être corrigées afin de garantir à tous la plus grande liberté. La fraternité, cela implique la solidarité, que les plus forts viennent en aide aux plus faibles, que les plus riches apportent leur soutien aux plus pauvres. C'est notamment à ça que servent les impôts et les services publics, pourtant tant décriés et mis à mal de nos jours.
Il ne s’agit donc pas de placer la liberté sur un piédestal et d'en faire une valeur au dessus de toutes les autres, mais bien de garantir à tous la plus grande liberté possible, en corrigeant les inégalités inhérentes à la condition humaine par la fraternité. Quand, dans une société, une infime minorité d'individus s’accapare l'essentiel des richesses produites par le plus grand nombre, n'est on pas en droit de se demander si cette triple affirmation, devise de la république française, a encore un sens ? Quelle liberté reste t-il à ceux qui consacrent tout leur temps et leur énergie à survivre, quand d’autres jettent l’argent par les fenêtres ou l’accumulent sans fin, usant de stratagèmes tous plus ingénieux les uns que les autres pour se dérober à leur devoir de solidarité via les impôts ? La liberté existe t-elle encore, et quand bien même elle existerait, quelle valeur a t-elle quand on n’a pas les moyens de vivre dignement ?
Liberté, égalité, fraternité sont donc indissociables les unes des autres, et doivent s’équilibrer, se pondérer mutuellement, pour que tous ensemble, avec nos différences intrinsèques, nous puissions vivre en harmonie. Tel est le sens, me semble t-il de cette triple acclamation, trop souvent utilisée à mauvais escient par nos dirigeants politiques afin de justifier des prises de position ou des actes qui vont à l’encontre même des principes qu’ils prétendent défendre.