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Billet de blog 4 mai 2021

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Aux racines du continent australien

L’Australie s’est construite comme l’Amérique du Nord : à grand renfort d’importation de main-d’œuvre de talents divers et variés (y compris de gangsters) et ce grand brassage a créé une population où les rescapés autochtones n’ont plus eu leur mot à dire. John Danalis nous invite à une véritable révolution copernicienne sur ce sujet brûlant.

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Aux racines du continent australien

L’appel du cacatoès noir

Par John Danalis (traduit de l’anglais, Australie, par Nadine Gassie)

Editions Marchialy

Comment peut-on être Australien sans être Aborigène ? Et inversement…

Ou, comme le disait si exactement Pierre Dac : tout est dans tout, et inversement.

Aborigène : personne qui vit dans le pays de sa naissance, de ses parents.

Synonymes approximatifs : indigènes, autochtones.

Est aborigène l’indigène qui vit là où il est né, comme ses parents et en possède et transmet la culture ancestrale.…

Mais rien n’est jamais acquis… Les récents meurtres racistes opérés par la police nous l’indiquent. Et soulignent aussi le parallèle avec l’Amérique du Nord.

Que les premiers colons aient été autant des brigands en pénitenciers, sans conscience, que des déportés politiques, rêvant d’un monde meilleur, ne change rien à la donne contemporaine : il y a bel et bien eu la négation de la population aborigène.

John Danalis n’est pas aborigène, ni même australien colonial des origines. De père grec, immigré, il n’a garde d’oublier son ancien statut de «  métèque »  comme on l’appelait parfois dans sa jeunesse. Le melting pot agissant, le descendant de Grecs est devenu australien à part entière, de troisième génération, comme on dit. 

L’Australie s’est construite comme l’Amérique du Nord : à grand renfort d’importation (d’abord de main-d’œuvre, puis, aussi, de talents divers et variés, y compris de gangsters) et ce grand brassage a créé une population où, en apparence, la réussite individuelle est la référence sociale. Sauf que le peu de rescapés des populations autochtones n’ont plus eu leur mot à dire, mais le retrouvent pourtant aujourd'hui, et de façon inexorable. La situation est étrangement similaire jusque dans l’extermination des premiers occupants par les premiers colons.

Jim Harrisson a, sur le sujet, des pages d’une extrême lucidité dans son autobiographie En marge, par exemple : Quand on y pense, nos prétendues Guerres Indiennes ont été au sens strict de simples conquêtes et opérations immobilières. Tous ces biens font l’objet d’une expropriation immédiate. Beaucoup plus tard, c’est Bertolt Brecht qui a dit que, ceux que nous voulons détruire, nous les appelons d’abord sauvages.

L’auteur, parce qu’il a repris des études, avoue un jour dans son cours de « Littérature autochtone » qu’il y a chez ses parents en « décoration » sur une étagère du salon le crâne d’un Aborigène… à la stupéfaction des membres du groupe, comme de sa professeure. Stupéfaction et incompréhension : comment pouvait-ont encore considérer uu reste humain comme un objet de décoration ?

Dès lors John Danalis (il s’agit d’un récit strictement autobiographique) entame une remise en question fondamentale, ce qu’on peut appeler une révolution copernicienne. Ce qui lui paraissait naguère anodin, un « élément de décoration » qui ne choquait personne, devient pour lui la source jaillissante d’une sorte de repentance qui évolue assez vite vers une transcendance qui lui permet de remonter aux racines profondes de son pays, il n’est pas responsable du passé, certes, mais comptable, devant rendre des comptes, oui. Et il assume totalement cette situation à première vue inconfortable et qui va lui procurer d’immenses bonheurs, d’intenses joies. Oui, tous autant que nous sommes, nous ne pouvons pas être responsables de l’histoire passée. Même si nous devons l’assumer sans honte.

La restitution du crâne, curieusement rendu phosphorescent par les couches de vernis appliquées soigneusement par le père de John, donne lieu à une cérémonie de réconciliation qui associera les générations et les peuples.

Sous le prétexte que la terre où ils débarquaient n’appartenait à personne (terra nullius) les colonisateurs se permirent toutes les exclusions, expulsions, création de réserves et  jusqu’aux génocides (en Tasmanie, par exemple, mais aussi dans d’autres continents comme à Terre-Neuve où chaque Indien (homme, femme, enfant, vieillard) était payé 5 $ à son assassin)

Il se dégage de ces pages une charge émotionnelle intense qui amène les larmes aux yeux, que, gentiment, l’auteur chasse d’un humour compatissant.

Bien sûr les ignominies du passé ne peuvent être balayées d’un revers de main négligent, voire méprisant.

Et, bien sûr aussi, on apprécie que les principaux personnages fassent preuve d’auto-dérision, d’un recours à la déconnade… Je pense à ce quasi road-movie où John et Tason emmènent la « dépouille », cette tête fluorescente, sur le siège arrière de la voiture… Le parfum de la fumée et du myrte citronné dissipe, à elle seule, toute idée de revanche, voire de violence. Mais, reste, oui, ce fatalisme muet qui voile les yeux et que jamais un air de didjeridoo ne pourra dissiper.

D’ailleurs les comiques de situation rendraient presque sympathique cet instrument de musique, sacré et hautement vénérable, certes, mais que, hélas, tant de jeunes (et moins jeunes…) occidentaux ont rendu insupportable à nos oreilles en nous agressant de leurs mauvaises interprétations…

Vous ne pourrez plus jamais parler de l’Australie comme avant. Aucun cliché ne résiste au tsunami personnel qui a bouleversé John Danalis à la découverte concrète du « sale secret de notre nation » : « comme beaucoup d’Australiens, j’avais une vague conscience de la violence guerrière qui avait déferlé à travers le continent pendant plus d’un siècle après l’arrivée des Européens (…). Je lisais livre sanglant sur livre sanglant. Je découvrais que les crosses de fusils de membres de milices privées officiellement approuvées par le gouvernement s’enorgueillissaient d’encoches pour chaque indigène tué au cours de leurs campagnes punitives, aveugles et prolongées. (…) Il devenait douloureusement évident que cette guerre de conquête non déclarée avait été le fait d’un seul camp » et qu’il ne s’agissait de «  rien de moins que l’abattage d’êtres humains ».

Et « j’ai rapidement découvert que le moyen le plus sûr de se mettre à dos l’hôte d’un barbecue ou d’un dîner était d’informer ses invités que les fondations de notre pays prospère étaient imbibées du sang de ses propriétaires originels…»

S’il s’agit d’une découverte complète pour John Danalis (jusque-là gentil écrivain de livres pour une gentille jeunesse, d’ailleurs il a une tête sympa, le John), la documentation préexistait néanmoins. Il cite les travaux par exemple d’un Bruce Elder qui dans son ouvrage « Blood on the Wattle (Du sang sur les acacias : l’acacia doré ou mimosa doré étant la fleur nationale de l’Australie) dresse la liste connue à ce jour des meurtres et des massacres d’Aborigènes d’une manière si crue et si implacable que le livre s’est acquis la réputation de jeter ses lecteurs dans des abîmes de désespoir.»

Pas d’angélisme, non plus. Les Aborigènes ne sont pas de « bons sauvages » à la Jean-Jacques Rousseau, même s’ils manifestent le plus souvent une sorte de magnanimité fataliste. D’autant moins que nombre d’entre eux, vaincus par ces siècles de mépris, de négation et d’élimination, ont sombré dans la déchéance et la survie. Phénomène qu’on retrouve sur tous les continents, et nous avons été sensibilisés à celui des Amérindiens comme à celui des Africains de « notre » empire colonial.

Pour autant un mouvement existe, probablement une tendance lourde, vers une reconstruction qui passe d’abord par la restitution d’un honneur qu’on croyait perdu.

Si John Danalis et ses parents ont fait leur premier geste en rendant ce crâne à ses héritiers, les Wamba Wamba, ils iront bientôt rapporter aux Iman Jiman une pierre à polir traditionnelle chargée elle aussi d’une histoire mémorielle propre à réunir les peuples.

Sa remise en question ne se fait pas sans douleur. Il nous demande notre aide : « J’ai besoin de vous, mes lecteurs, pour lorgner dans les wagons de bagages que je traîne dernière moi depuis tant d’années ».

A-t-il offert là le livre fondateur (voire manifeste ?) d’une littérature de réconciliation qui transcenderait le temps comme l’espace et nous obligerait à reconsidérer nos approches de tous ces pays dont les peuples ont connu une semblable destinée : Amérindiens, Lapons, Inuits, Africains, Arabes…

C’est bien une révolution copernicienne qui s’invite dans nos débats intellectuels.

Ce parcours initiatique aux racines de son continent, John Danalis nous le fait partager. Nous invite à l’y accompagner.

C’est un grand honneur en même temps qu’un bonheur douloureux que son humour saura rendre joyeux.

Merci

Quelques mots pour la traductrice

Les traducteurs et traductrices sont des êtres grâce auxquels les esprits parviennent à franchir les frontières entre différents mondes, et eux, par leur talent et leur savoir-faire, ils ont la possibilité de dépasser les frontières, de les abolir pour créer, dans les alambics de leurs ordinateurs, la pierre philosophale de notre temps : l’universel.

C’est de Olga Tokarczuk, polonaise, prix Nobel de littérature 2018 (dans Le tendre narrateur et autres textes, éditions Noir sur blanc).

Et cela s’applique à la lettre à Nadine Gassie qui a traduit le présent livre. Un travail méticuleux, d’une précision quasi chirurgicale et qui respecte au plus près cette écriture dense, précise, elle-même au scalpel. Pas de gras là-dedans, nulle boursouflure. L’humilité de la traductrice pour respecter le travail d’écriture rejoint précisément celle de l’auteur dans sa quête de concorde.

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