C'est le mot à la mode. A la suite d'Hervé Kempf (L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie, éditions du Seuil, Paris, 2011), il est aujourd'hui de bon ton de dénoncer l'oligarchie. Pour préciser qui sont ces oligarques, on peut ajouter l'oligarchie politico-financière. Ce mot, venu du temps jadis de la Grèce antique, a d'abord servi à dénoncer les magnats et autres potentats russes du gaz et du pétrole. On l'applique aujourd'hui à la France. C'est dire si la collusion des pouvoirs économiques et politiques depuis l'épisode du Fouquet's après l'élection présidentielle apparaît comme symptomatique d'un système à la dérive.
Les scandales de l'affaire Woerth-Bettencourt, l'affaire de Karachi ont remué le couteau dans la plaie. Plus rien ne s'oppose à la théorie marxiste : la concentration entre quelques mains des richesses et du pouvoir est si criante d'injustice que le peuple excédé est acculé à la révolte. L'exemple tunisien remet au goût du jour le parfum des révolutions. On se dit que les Français vont se lever en masse et, pour défendre un monde meilleur, vont renverser ce régime corrompu qui voit les ministres, comme disait Stéphane Guillon avant d'être démissionné de France-Inter, "se gavent comme des porcs", pendant que le peuple trime entre chômage et smic à mille euros.
Cette mystérieuse oligarchie financière englobe les deux partis politiques qui se partagent le pouvoir en alternance, sous le nom d'UMPS. L'oligarchie les contrôle et peut ainsi noyauter toutes les institutions, elle gagne à tous les coups. Elle contrôle, par ses puissantes ramifications internationales (les oligarques sont un petit club mondial très fermé, où l'on se prête les jets et des yachts). Le FMI, l'UE, l'ONU, l'OMC, l'OMS... même la Croix rouge seraient sous influence. Ils se retrouvent dans des clubs de discussions (Bildeberg, Le Siècle) pour manigancer des plans maléfiques afin d'opprimer toujours plus les peuples.
Le problème de cette théorie c'est qu'elle déresponsabilise les politiques. Ils n'y peuvent rien, c'est l'oligarchie. Voter ne sert à rien, tous les candidats sont contrôlés par l'oligarchie. Les journalistes ne sont pas indépendants, c'est l'oligarchie qui rachète leurs journaux. Il n'y a qu'à voir à Mediapart, le nombre de billets remarquables qui sont censurés. Tout est foutu. Il faut monter des cellules secrètes, créer des réseaux clandestins, choisir des nouveaux noms comme à Lutte Ouvrière, et se préparer au combat. Il faut sortir du conditionnement moral de notre société, des préjugés de notre système pour faire la Révolution.
Comme ce genre de discours, par ailleurs romantique, revient à réfuter toute idée de progrès social, on garde le statut quo. L'immobilisme devient une règle de conduite. Les réformes : des emplâtres sur une jambe de bois. Les acquis sociaux : des miettes qui permettent de tenir le peuple en laisse. Les élections : piège à cons.
On se révolte quand on a faim, quand on a peur. On ne va pas attaquer des casernes pour la retraite à 60 ans ou l'augmentation du pouvoir d'achat. Quand les banlieues s'embrasent, les bourgeois froncent les sourcils. Ce sont leurs voitures qui risquent de brûler.
Si l'oligarchie existe, sous quelque forme que ce soit, le meilleur moyen de lui nuire, c'est de ne pas être révolutionnaire. Soyons réalistes, demandons l'impossible.