A l'instar de Hosni Moubarak, Nicolas Sarkozy reste obstinément accroché à son fauteuil présidentiel. Même si dans l'UMP, parti unique de la droite française qui contrôle le gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat et l'armée, quelques voix discordantes commencent à se faire entendre, Sarkozy, de plus en plus isolé, tient à maintenir son calendrier de 2012. Il est resté droit dans ses bottes alors que la rue réclame son départ. "Qu'il dégage!" était le slogan scandé par des milliers de Français durant son intervention télévisée truquée face à des intervenants sélectionnés par la télévision d'Etat et un animateur aux ordres du despote. Tout le monde s'attendait à l'annonce d'une démission : rien, en fait, sinon l'habituelle propagande du régime qui ne saurait plus convaincre personne.

Accusant les magistrats de complots, les journalistes étrangers de déstabilisation, les syndicats de bolchévisme, les fonctionnaires de déviationnisme, les pédophiles de gauchisme, le président a fustigé l'influence de l'Europe et des Etats-Unis, ainsi que de la Chine pour expliquer la situation actuelle. Les échecs économiques et sociaux, la montée du chômage ont été comme toujours imputés aux grands complots internationaux. La corruption des ministres, leurs vacances chez des confrères dictateurs en Egypte ou en Tunisie, ont été rangés au rang de faits habituels : "une commission de prévention des conflits d'intérêts va être mise en place". La gangrene des dignitaires liés aux grandes entreprises est telle, qu'une commission apparait comme un moyen de ne rien faire. Même Ben-Ali et Moubarack ont pourtant limogé des ministres. Sarkozy, non.
Alors que des millions de Français se pressent place de la Bastille, que d'autres établissent des campements sauvages dans le bois de Boulogne, la négociation ne semble pas à l'ordre du jour. Plus personne ne croit les paroles, ni ne regarde les gesticulations de Sarkozy comme étant des signes cohérents. Les partisans du régime, encore nombreux dans les campagnes et chez les personnes âgées, sensibles au discours sécuritaire, nationaliste et xénophobe, au rang de la France, se sont, eux, réunis sur la place Vendôme. Infiltrés et agités par des policiers en civil, ils s'en sont pris à des journalistes de Mediapart, accusés de colporter de fausses rumeurs sur le régime. Victimes de la propagande gouvernementale et payés en sous-main par le MEDEF, certains rappeurs germanopratins ont même rejoint le mouvement pour lui donner une allure faussement populaire. Le spectre de l'islamisme a même été brandi par le ministre de l'Intérieur, pour justifier la mobilisation des compagnies de CRS autour des sites sensibles de la capitale.
Pour sortir de la crise, Sarkozy met en avant un délégation de son pouvoir, jusqu'ici sans partage, à son vice-président. Peu le connaissent, mis à part dans les milieux autorisés, il s'agit de François Fillon. C'est pourtant un homme clef du régime, celui qui a su repousser plusieurs fois l'âge du départ à la retraite. Fillon est apparu à l'Assemblée, soutenu par les caciques du régime, et a insisté sur les liens personnels qu'il avait le régime égyptien. Une rumeur prétend même que Hosni Moubarak aurait proposé l'aide des forces de sécurité égyptiennes à la France, lorsque la place Tahrir aura été évacuée au Caire. Le départ du président égyptien, après celui de Tunisie, serait pour la France synonyme d'un isolement encore plus grand sur la scène internationale.
Le silence de l'armée, dont le rappel d'Afghanistan aurait été évoqué en conseil des ministres, maintient une grande inconnue. La perte de crédibilité de l'ancienne ministre des armées Alliot-Marie, après l'échec de sa mission en Tunisie, renforce encore le pouvoir d'un homme de l'ombre. Le puissant et énigmatique ministre de la Défense actuel, Alain Juppé, apparait comme l'homme clef de cette crise. S'il décide d'associer les troupes d'élite du régime aux compagnies de CRS de Brice Hortefeux, Paris pourrait bien se retrouver dans un bain de sang, comme au temps de la Commune en 1871. Les appels au calme de la communauté internationale semblent pour l'instant le retenir, puisqu'il était en visite à Washington en début de semaine. Le président Obama, visiblement, ne souhaite pas se compromettre davantage avec Sarkozy, mais il tient également à éviter une flambée de violence en France.
Dans la confusion actuelle, le maintien des connexions internet est une des clefs de la mobilisation. La reprise en main du régime par les lois LOPPSI2 fait peser sur le pays la menace d'un black-out sécuritaire. La création de milices de réservistes favorables au régime est également prévue pour contenir le mouvement populaire. De leur côté, les manifestants en appellent aux mânes de leurs ancêtres qui ont abattu la forteresse symbole de l'arbitraire sur la place même où se trouve aujourd'hui le coeur battant de la contestation.
Il faut suivre la situation d'heure en heure, car personne aujourd'hui ne peut direct comment la situation va évoluer.
Ajout de début de soirée : le départ finalement annoncé de Moubarak trouve un grand écho en France, où le peuple crie "honni soit Sarkozy!".