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Billet de blog 31 mai 2011

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La révolution de Luc Chatel et Xavier Bertrand

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Tout va mieux. L'Etat français, on n'ose plus évoquer la République, dans le domaine de l'éducation, a en effet annoncé son intention de créer 7000 postes. 7000 enseignants en contrats précaires, contractuels et vacataires, qui n'ont donc pas obtenu ou passé les concours de certification ou d'agrégation, sont donc recrutés pour enseigner. Voilà ce qui s'appelle mettre de l'argent dans la formation!

Bon, c'est certain, les syndicats de profs, jamais contents, rappellent qu'en parfaite synchronisation, on supprime 16000 postes de titulaires. C'est à dire que 7000 précaires remplacent 16000 fonctionnaires. Quel progrès! Nos enfants vont pouvoir bénéficier d'un enseignement de meilleure qualité, nous n'en doutons pas. Cette externalisation fait penser aux entreprises qui réduisent la masse salariale en optant pour la sous-traitance car cela consolide leur cours de bourse. La France serait-elle inquiet pour son fameux AAA déscerné par les agences de notation? L'échec budgétaire de notre gouvernement avec l'explosion de la dette est-il si profond qu'on en est réduit à de tels expédients?

La réponse de Xavier Bertrand est claire : c'est parce que les postes supprimés ne le sont pas au même endroit que ceux qui sont créés. C'est donc qu'on supprime des postes de gens qui n'avaient pas d'élèves pour les remplacer par des gens qui en auront (France-Inter, émission de JM Aquili, 29/05/2011). C'est donc une révolution totale du statut de la fonction publique d'Etat, puisqu'il me semblait qu'aupararvant les fonctionnaires pouvaient être mutés en fonction des besoins. Chez les profs, on parle de "mesure de carte scolaire" qui fait qu'on est déplaçable d'un établissement à l'autre en fonction des besoins. Pourquoi donc cette annonce? Les profs sont-ils devenus inamovibles?

Le renforcement du statut des enseignants est donc en marche, puisque M. Bertrand ministre "du travail et de la santé" (sic!) explique aux Français que les professeurs ne sont pas au bon endroit. Les mauvaises langues se hasarderont toujours à oser prétendre que c'est parce que la gestion humaine orchestrée par le ministère est défaillante... mais n'écoutons pas les syndicats, qui, décidément, n'ont pas les mêmes critères d'évaluation que les agences de notation. Bienvenue donbc aux nouveaux freeters révocables de l'Education Nationale : on vous ferme le concours pour vous donner des emplois instables.

Cet aspect institutionnel ne doit cependant pas rebuter les clients de l'Education Nationale (il apparait en effet obsolète d'évoquer le terme d'usager d'un service public, sans parler de la rébarbative grandiloquence "d'école de la République"). En effet, afin de garantir une plus grande efficacité, le DRH ministre Chatel choisit également de promouvoir la concurrence, libre et sereine, seule capable d'engendrer une baisse des coûts éducatifs pour les familles. En donnant de plus en plus les moyens de s'épanouir à l'enseignement catholique, moins touché par les baisses d'effectifs et rendu apte à recevoir des subventions des collectivités, l'Etat crée les conditions de l'émulation dans l'Education. Il suit par la même la quête de spiritualité portée par Nicolas Sarkozy, chanoine de Latran, et François Fillon représentant de la fille aînée de l'Eglise lors de la cérémonie en béatification du désormais bienheureux Jean-Paul le second.

L'Education nationale externalise les coûts et peut ainsi s'ouvrir au marché et à la concurrence. La rentabilité à court terme pourrait en être modifiée. On est pas encore, comme chez France-Telecom devenu l'Orange stressée, à un taux de suicide record, mais cela pourrait arriver rapidement. Pour une optimisation des performances, le ministre DRH Chatel prévoit également une annualisation des temps de travail : des équipes pourraient ainsi se relayer pour assurer des cours et gagner sur ce temps perdu que sont les vacances estivales. On peut également demander aux professeurs de langues d'assurer les rattrappages sur les vacances scolaires. Le système est acceptable par tous, il est même validé par les médecins qui demandent depuis des années une modification des rythmes scolaires : le ministre de la santé et du travail ne doit y voir aucune objection (Xavier Bertrtand, NDLR).

La Révolution est bien en marche, chacun y concourt : la formation en alternance, pierre angulaire de la lutte contre le chômage des jeunes, a par exemple disparu de l'Education Nationale. On l'a remplacée par la formation en situation : on met un professeur débutant devant les élèves à temps plein et on lui demande de se former sur le peu de temps que lui laisse l'énorme masse de travail d'une première année. Pour tester sa résistance, on exige de plus qu'il rende des mémoires et suive des cours en parallèle. Cela permet de réduire la masse salariale et aussi d'accroitre le rendement des jeunes recrues. CQFD : le laboratoire de l'EN peremet de tester une solution d'avenir : l'alternance sans formation, où l'on alterne entre travail et travail, et où l'on se forme en plus sur son temps libre. Les gains de compétitivité attendus semblent prometteurs. Nul doute que Mme Lagarde, au FMI, n'approuve ces mesures lors du futur plan de soutien à l'économie française.

Le déplacement des problèmes de discipline est également envisagé : la présence policière dans les établissements scolaire et le développement des centres éducartifs fermés devrait suppléer à la suppression des anciens dispositifs ZEP. Le fichage des délinquants dès la maternelle et leur intégration à des structures de type carcéral le plus précocément possible semble une bonne solution pour recréer du lien social et de la mixité. La France, où la police arrête des parents d'élèves en situation irrégulière à la sortie des écoles, est vraiment un pays où l'école devient un creuset d'intégration et de règlement des problèmes sociaux.

Dans de telles conditions, on ne peut être que surpris du nombre de plus en plus faible de candidats à se présenter aux concours d'enseignements. Alors que la Révolution pédagogique, basée sur la pertinance des choix budgétaires et laissant tomber d'abord (sic) l'intérêt des élèves, est en marche, il est vraiment étrange que personne ne s'en rende compte. Toutes les réformes de l'éducation visent à diminuer le ratio profs/élèves depuis quinze ans. Entendre aujourd'hui que le gouvernement affiche comme une victoire sur le front de l'emploi le fait de recruter 7000 emplois précaires est donc insupportable. La révolution scolaire lancée par Chatel et Bertrand est catastrophique pour l'emploi (16000 emploi en moins et des milleirs de jeunes en échec scolaire), la santé (des personnels et des élèves) et l'éducation (le niveau des élèves ne peut que se trouver pénalisé par de telles orientations).

Jules Ferry disait que l'avenir appartient au peuple qui a les meilleurs écoles. La France, décidément, est une bien vielle nation.

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