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Billet de blog 12 septembre 2025

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Dix ans d'histoire de la Palestine : changement de regard

Les événements actuels à Gaza, en Cisjordanie, au Liban et les déclarations du gouvernement israélien viennent répondre aux questions longtemps laissées en suspens sur le projet véritable du sionisme politique. 

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La destruction de la ville de Gaza, passée sous silence par le monde médiatique français occupé aux jeux de la politique spectacle, l’expulsion organisée des habitants de la Palestine et l’élimination meurtrière des nombreux arabes nous obligent à relire l’histoire récente et à en redresser les perspectives. Il y a dix ans, Noam Chomsky, sioniste libertaire américain, et Ilan Pappé, historien israélien en exil en Angleterre, ont été mis en relation par Franck Barat, du Tribunal Russel sur la Palestine afin d’échanger leurs vues. Le contexte, alors, était celui des opérations militaires menées par Israël à Gaza sous les noms de Plomb durci (fin 2008), Pilier de défense (2012), Bordure protectrice (2014). Aujourd’hui, nous voyons bien que ce qui se passe est la suite d’une guerre déjà commencée auparavant et dont le massacre et la prise d’otage du 7 octobre 2023 ont permis l’intensification sans retenue.

La perspicacité de ces deux analystes laissait prévoir le pire, qui s’est avéré depuis. Pappé, dans une sorte de juste pressentiment, disait  : « l’éventualité d’une chute du sionisme laisse présager une période très sombre de l’histoire de la Palestine ». Et, de son côté, Chomsky prédisait ceci : « il est indéniable qu’on envisage la création d’un Grand Israël (…) car on n’a que faire des lois ». Les deux s’accordaient sur un constat : la crise du sionisme en tant qu’idéologie. Pappé est l’un de ces nouveaux historiens israéliens qui ont ruiné la fable nationaliste d’un droit de retour des juifs de l’antiquité en Palestine, comme s’ils y avaient été de tout temps chez eux. Pour lui, le sionisme est une aventure coloniale qui se dissimule dans la mythologie d’un droit au retour. A ces travaux historiques documentés s’ajoute la politique israélienne d’expansion hors des frontières fixées par l’ONU qui faisait dire à Chomsky que « les Israéliens s’inquiètent beaucoup de ce qu’ils appellent la délégitimation – et il est vrai qu’ils sont en train de se délégitimer ». Or, comme on l’a vu souvent dans l’histoire, dès qu’un projet politique perd en légitimité, il se crispe et tourne à l’usage de la force, en l’occurrence militaire.

Les deux analystes n’avaient pas tout à fait la même approche. Pour Pappé, « le nettoyage ethnique a pu devenir l’infrastructure sur laquelle on a bâti l’État juif. Celui-ci constitue l’ADN de la société israélienne », écrit-il. Au point que, s’y opposant, l’historien israélien s’est senti obligé de quitter son pays. Chomsky insiste, pour sa part, sur les virages pris par le sionisme. D’abord en devenant, à partir de 1948, une idéologie d’État, c’est-à-dire reposant sur la force, il a abandonné le sionisme antérieur de Buber et de Ahad Ha’Am (pour lequel le jeune Chomsky avait milité) visant à une fusion judéo-arabe. Puis, autre tournant, le sionisme israélien a choisi, à partir de Golda Meir, de « tourner le dos à la sécurité en faveur de l’expansion », dit l’intellectuel américain. L’annexion territoriale en vue du Grand Israël l’a emporté sur le désir de coexistence pacifique. Malgré ces deux lectures assez différentes de l’histoire, l’une plaçant le racisme anti-arabe dans l’origine même et l’autre insistant sur des choix politiques qui n’étaient pas forcément inscrits dans l’idée initiale, les deux interlocuteurs se retrouvaient pour dénoncer les illusions de ce que la communauté internationale a longtemps appelé le processus de paix. Pour Chomsky, « le cadre des négociations a tout simplement servi de couverture » à une politique d’annexion par la violence. Si bien qu’aujourd’hui les choses se sont inversées : la solution à deux États, qu’on disait portée par les sionistes pour permettre à Israël de vivre en paix, est considérée désormais comme une solution antisioniste qui empêche la création du Grand Israël.

Les événements actuels à Gaza, en Cisjordanie, au Liban et les déclarations du gouvernement israélien viennent répondre aux questions longtemps laissées en suspens sur le projet véritable du sionisme politique. Ceux qui pouvaient encore, il y a dix ans, voir en Chomsky et Pappé des militants pro-palestiniens occupés à noircir les intentions d’Israël et à diaboliser un pays qui, soi-disant, n’aurait voulu que vivre en paix avec ses voisins, devraient se rendre désormais à l’évidence : ce que cherche Israël, quels que soient ces gouvernements, n’est pas la sécurité et la paix, mais l’expulsion, au besoin par l’extermination, de la population arabe. Cela était déjà compréhensible il y a dix ans et même avant, mais la diplomatie internationale n’avait certainement pas envie de le comprendre, et il faut se demander pourquoi.

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