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Billet de blog 16 septembre 2025

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La dogmatique d’État sur Israël

Le décalage entre les opinions publiques et les positions d’État sur la question palestinienne souligne l’existence d’une dogmatique officielle qui trie l’accès aux élites.

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Le fossé qui existe aujourd’hui, sur la question de la Palestine, entre les opinions publiques et les positions gouvernementales mérite d’être interrogé. Encore faut-il savoir, évidemment, ce qu’on appelle l’opinion publique. Dans des sociétés endoctrinées par les médias comme les nôtres, il existe une opinion dominante qui s’exprime dans les organes de propagande de grande écoute et dont les téléspectateurs ou auditeurs ou lecteurs ne sont que le reflet. Une chaîne comme Cnews matraque de messages convergents ses téléspectateurs pendant quinze jours, suite à quoi elle les soumet à un sondage dont le résultat est infaillible : les « français », entendons ceux qui regardent Cnews, ratifient les opinions propagées à l’antenne et sont le pur reflet de leur chaîne favorite. Il en va de même avec les stations pro-gouvernementales comme Franceinfo ou autres. Cette opinion-là, nommons-là opinion médiatique, et distinguons-la bien de l’opinion publique. Cette dernière n’existe qu’en sondant, par exemple à travers les réseaux sociaux ou les enquêtes sérieuses, ceux qui font l’effort de s’informer par eux-mêmes, par d’autres canaux et de manière un peu plus approfondie.

Or, dans l’opinion publique, aujourd’hui, la condamnation des exactions d’Israël domine, ainsi que l’horreur devant le sort subi par le peuple palestinien. Face à quoi les positions gouvernementales et l’opinion médiatique ont longtemps été et restent encore en décalage. Ce n’est pas nouveau. Dans le livre Palestine, Ilan Pappé soulignait déjà, en 2015, l’écart entre les opinions publiques et « l’appui indéfectible des élites politiques et économiques occidentales à l’État juif »1. C’est qu’à vrai dire les gouvernements n’ont pas pour premier souci de représenter leur population, mais de l’aligner à l’ordre des alliances militaires. Non pas au droit international, car de ce point de vue Israël est condamnable et a été condamné : mais à l’ordre géopolitique, lui-même en décalage avec le droit international. Dans cet ordre géopolitique des alliances, commandé non par le droit mais par la force, Israël reçoit le soutien inconditionnel des États-Unis et les pays européens s’alignent majoritairement sur les Etats-Unis. Si bien que les gouvernements, tout en exprimant de manière purement déclarative leur soutien à une « solution à deux Etats » (formule magique qui dédouane de tout), mènent une politique de soutien à Israël. Quand bien même un gouvernement d’extrême-droite y développe une stratégie de violence extrême. Charge ensuite aux grands organes de presse de produire une opinion médiatique qui donne l’illusion d’une adhésion populaire à la politique officielle.

Sur la question de la Palestine, on a donc deux registres d’opinion. L’opinion médiatique qui relaie celle des « élites », comme dit Pappé, et l’opinion publique réelle. Celle-ci est traitée comme contestataire : elle manifeste, elle fait irruption dans l’espace public, elle crée du désordre avec des drapeaux palestiniens. On lui fait parfois quelques concessions par certaines formules, mais on la traite comme minoritaire. L’opinion médiatique passe à l’inverse pour responsable, elle est celle des élites, des décideurs, de ceux qui méritent d’être écoutés. Elle se construit autour de « la lutte contre l’antisémitisme », de « la lutte contre le terrorisme » et de la défense du mode de vie occidental. Entre les deux passe une frontière : celle de l’officialité.

Ne peuvent accéder à l’élite qui défend les positions officielles et aux médias qui les relaient que les personnes et les discours qui s’engagent à nommer antisémite l’antisionisme, à condamner le Hamas comme mouvement terroriste et à intégrer Israël au bloc occidental des démocraties. C’est ainsi que le sionisme demeure hégémonique non pas dans l’opinion populaire mais dans l’opinion qui compte, celle des élites de gouvernement et des médias grand public. L’hégémonie n’est pas possible sans la sanction de l’officialité.

On retrouve, finalement, le dispositif le plus traditionnel de la pensée dogmatique : le dogme exige l’orthodoxie de l’opinion sur quelques points clés faciles à définir (le Credo des catholiques) hors de quoi les autres affirmations, si nombreuses soient-elles, sont hérétiques. Ne peuvent être inclus aux élus que ceux dont la profession de foi est conforme aux points clés du dogme. Sous son apparente nouveauté, ce qu’on appelle le « politiquement correct » n’est que la reconduction sur le plan politique du contrôle de l’opinion telle qu’il existait depuis longtemps dans l’Église catholique. D’ailleurs, il est clair que certaines interviews politiques du système médiatique relèvent davantage du modèle inquisitorial de lutte contre les hérésies que du débat : on y attend le mot magique qui disculpe (condamnation du terrorisme, de l’antisémitisme, de la violence, etc.) et la profession de foi qui autorise à passer à la télé, à être publié, à être recruté pour certaines fonctions.

La position sur les guerres en Palestine est un point important de la dogmatique d’État aujourd’hui. Elle détermine le droit d’appartenir à certaines élites où le sionisme exerce encore son hégémonie. Il faudrait à présent se demander quand et comment le sionisme est entré dans la dogmatique gouvernemental française, quand et comment le sionisme est devenu hégémonique dans les « élites » françaises.

1 Noam Chomsky, Ilan Pappé, Palestine, Montréal, Ecocité, 2016, p. 9.

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