
Il y a quelques années, au moment où elle a obtenu le prix Nobel de littérature j'avais lu « La fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement » de Svetlana Alexievitch.
J'avais été proprement abasourdi par ce que je lisais.
Hors l'impact « psychologique » sur les populations de la fin d'un empire et d'un système politique et social, c'est l’extrême violence que déclencha cette rupture historique à l'intérieur des peuples eux-mêmes et qui fut subie par des gens qui n'en pouvaient mais, qui m'apparut proprement comme monstrueuse.
Et l'autre abasourdissement dans lequel je me trouvais, c'était de me rendre compte que rien n'avait transparu en « occident ». Comme si la fin, pour certains, du fascisme stalinien ou pour d'autres de la crainte communiste, se suffisait à elle même sans qu'on ait à se soucier même de savoir ce qui se passait dans cet espace historique pourtant en grande partie européen.
Comme si la jouissance de voir l'ennemi à terre était augmentée de la misère, de la violence, des meurtres, du déclassement, de la mise en coupe réglée par des mafias que subissait la population.
Une sorte de « bien fait pour eux » maladivement enfantin.
Et de regarder ailleurs.
Et les intellectuels, les artistes ont semble-t-il regardé ailleurs sauf peut-être les jurés du Nobel.
Il me semble que ce qui se passe aujourd'hui dans le conflit russo-ukrainien peut-être éclairé par cette œuvre puissante.
Non pas qu'elle permette d'expliquer, de justifier ce conflit mais parce qu'elle impose la complexité, elle impose l'humanité, elle montre que tout ne se résume pas à des gentils et des méchants, et surtout elle montre qu'un des rôles des artistes et des intellectuels est que, quand les pouvoirs dominants montrent du doigt une réalité, il faut faire comme l'idiot du proverbe et plutôt regarder le doigt que la lune ou aller contempler la lune d'un autre endroit.
Voilà pourquoi j'ai enregistré quelques pages de ce livre et que je vous propose de les écouter.
L'enregistrement a été fait avec des moyens très sommaires, c'est peu de le dire.
Un ami a longuement , avec beaucoup d'à propos, commenté les images que j'ai mises sur le texte.
De toute évidence problématiques.
J'espère cependant faire plusieurs modules, avec des textes aux consonances différentes.
Svetlana Alexievich est Biélorusse par son père et par nationalité, avec des racines ukrainiennes par sa mère.
Elle s'est toujours déclarée opposante à Poutine et ses œuvres ont souvent été interdites.
Espérons qu'à l'heure où l'on interdit l'enseignement de Dostoïevski, son œuvre, en russe, ne soit condamnée pour manque de manichéisme.

Agrandissement : Illustration 2
