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Billet de blog 19 septembre 2022

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De la guerre...en Ukraine ?...De la guerre !

Giono est un grand écrivain, politique, soldat du Chemin des dames à Verdun, il s'engagera résolument contre la guerre, toutes les guerres, l'idée de la guerre. Voici l'extrait d'un texte auquel il ne manque rien, auquel il n'y a rien à retrancher pour dire le monde aujourd'hui.

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Dans la préface du texte : "Je ne peux pas oublier" dans lequel j'ai pris l'extrait suivant, Giono écrit :

"On trouvera plus loin cet article contre la guerre publié en novembre 1934 à la revue Europe, plus quatre chapitre inédits du Grand Troupeau. Bien souvent des amis m'ont demandé de publier ces textes réunis. Je n'en voyais pas l'utilité. Maintenant j'en vois une : je veux donner à ces pages la valeur d'un refus d'obéissance.
Autour de nous, trop d'anciens pacifistes ont obéi, obéissent, suivent peu à peu les grands remous, tout claquants d'étendards et de fumées, marchant dans les chemins qui conduisent aux armées et aux batailles. Je refuse de les suivre ; même si mes amis politiques s'inquiètent dans cet acte d'un individualisme suspect.

Nous savons donc maintenant très nettement de quoi il s'agit. L'état capitaliste a besoin de la guerre. C'est un de ses outils. On ne peut tuer la guerre sans tuer l'état capitaliste. Je parle objec­tivement. Voilà un être organisé qui fonctionne. Il s'appelle état capitaliste comme il s'appellerait chien, chat ou chenille bifide. Il est là, étalé sur ma table, ventre ouvert. Je vois fonctionner son organisme. Dans cet être organisé, si j'enlève la guerre, je le désorganise si violemment que je le rends impropre à la vie, à sa vie, comme si j'enle­vais le coeur au chien, comme si je sectionnais le 27e centre moteur de la chenille, cette perle toute mouvante d'arcs-en-ciel et indispensable à sa vie. Reste à savoir ce que je préfère : vivre moi-même, permettre que les enfants soient des enfants et jouir du monde, ou assurer, par mon sacrifice, la continuité de la vie de l'état capitaliste ? Conti­nuons à être objectifs. À quoi sert mon sacrifice ? À rien ! (J'entends ! Ne criez pas si fort dans l'ombre. Ne montrez pas vos gueules épouvan­tables de massacrés de l'usine. Ne parlez pas, vous qui me dites que votre atelier a fermé et qu'il n'y a pas de pain à la maison. Ne hurlez pas contre les grilles du château où l'on danse. J'entends !) Mon sacrifice ne sert à rien qu'à faire vivre l'état capitaliste. Cet état capitaliste mérite-t-il mon sacrifice ? Est-il doux, patient, aimable, humain, honnête ? Est-il à la recherche du bonheur pour tous ? Est-il emporté par son mouvement sidéral vers la bonté et la beauté et ne porte-t-il la guerre en lui que comme la terre emporte son foyer cen­tral ? Je ne pose pas les questions pour y répondre moi-même. Je les pose pour que chacun y réponde en soi-même.

Je préfère vivre. Je préfère vivre et tuer la guerre, et tuer l'état capitaliste. Je préfère m'occuper de mon propre bonheur. Je ne veux pas me sacrifier. Je n'ai besoin du sacrifice de personne. Je refuse de me sacrifier pour qui que ce soit. Je ne veux me sacrifier qu'à mon bonheur et au bonheur des autres. Je refuse les conseils des gouvernants de l'état capitaliste, des professeurs de l'état capita­liste, des poètes, des philosophes de l'état capita­liste. Ne vous dérangez pas. Je sais où c'est. Mon père et ma mère m'ont fait des bras, des jambes et une tête. C'est pour m'en servir. Et je vais m'en servir cette fois.

On ne peut plus se promener sur le champ de bataille avec son fusil pareil à un bâton. Le dédain, l'acceptation du martyre, la non-résistance, rien de tout ça ne peut être maintenant efficace. Croyez-vous que l'état capitaliste va s'arracher le coeur de bon gré ? La guerre est le coeur de l'état capitaliste. La guerre irrigue de sang frais toutes les indus­tries de l'état capitaliste. La guerre fait monter aux joues de l'état capitaliste les belles couleurs et le duvet de pêche. Vous croyez que, de son bon gré, l'état capitaliste va s'arracher le coeur parce que vous êtes touchant, bel imbécile, marchant dans la ligne de tirailleurs avec votre fusil pareil à un bâton ?

Il n'y a qu'un seul remède : notre force. Il n'y a qu'un seul moyen de l'utiliser : la révolte.

in "Refus d'obéissance" - Jean Giono - Edition Folio2€. Pages 25 ; 26 ; 27.

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